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Hématome

Publié le 31/05/2022 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Métamorphose

Comédienne désormais connue sur le grand et le petit écran, déjà récompensée en 2015 d’un Ensor pour son rôle dans Waste Land, Babetida Sadjo arpente toutes les scènes depuis qu’elle est sortie du Conservatoire. Avec Hématome, elle se lance dans la réalisation avec un film très personnel. Un premier court-métrage de fiction réussi et risqué, percutant et important.

Hématome

Hématome commence comme un film à la narration parfaitement classique. Il avance en sourdine autour de Judith qui parle peu, qui écoute, se souvient et tente de garder la tête hors des eaux troubles d’un passé violent avec lequel elle ne sait pas régler ses comptes. C’est que victime de pédophilie, le procès qui vient de mettre son bourreau au tribunal n’a pas rétabli la balance. Son avocate l’en informe aux premières images du film : l’homme s’en tire pour attouchements, et quelques années de prison qu’il ne fera sans doute pas complètement. Assommée par cette nouvelle, Judith rentre chez elle où deux amies à la jovialité forcée l’attendent pour l’embarquer danser. Sa soirée va lentement sillonner dans son passé pour l’amener vers une aube nouvelle.

Judith, qu’interprète elle-même Babetida Sadjo, se transforme alors en une créature mythologique, recouverte d’une robe aux reflets de pierre bleutée, la chevelure torsadée comme Médée. Dans la boîte de nuit où elle se défoule, peu-à-peu, la victime mutique irradie sous la lumière. Elle prend possession du cadre de la caméra, des hommes, de la parole, de son destin. Femme redevenue puissante, elle se redresse. Avant de s’échapper soudain dans la nuit, régler son compte à celui qui aura brisé son monde. Au loin, dans la campagne, au bout du petit matin, un homme vieillissant et fragile l’attend dans un tout autre décor, celui de son enfance. Leur face-à-face finira la mue de la jeune femme.

Portrait d’une femme en mille morceaux, le film lui-même s'aventure dans plusieurs registres, entre naturalisme et hallucination. La narration tresse avec habilité éclats de souvenirs, présent en apesanteur coupés de toute chronologie, et moments de libération. Les séquences aux tonalités contrastées s’enchaînent, dans un maelström d’ambiances différentes. Ce monde éclaté comme un miroir cassé, c’est finalement une voix off, un monologue puissant et bouleversant comme une seconde goulée d’air, qui vient l’assembler tout entier dans un récit hurlé. Jusqu’à ce dernier regard face caméra, celui d’une femme droite, digne, entière.

Et s’il ne faut pas trop en dire pour ne pas tout dévoiler, Hématome finit par interroger cette justice aveugle aux yeux bandés dont les verdicts laissent les victimes en souffrance, seules, sans réelles réparations, sans reconstruction possible. À moins de devenir la justice soi-même. Un film en guise d’avertissement...

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