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Het Smelt (Débâcle) de Veerle Baetens

Publié le 23/10/2023 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

L’été en pente douce

Bien longtemps après un été caniculaire qui a complètement changé sa vie lorsqu’elle avait 13 ans, Eva (interprétée enfant par Rosa Marchant et adulte par Charlotte De Bruyne), 27 ans, exilée à Bruxelles, revient dans son village natal en catimini, transportant un mystérieux pain de glace dans le coffre de sa voiture pour laisser derrière elle un message…

Het Smelt (Débâcle) de Veerle Baetens

Son enfance nous est contée dans des flashbacks qui font peu à peu la lumière sur son secret. Fillette timide et ordinaire, Eva vivait autrefois à Bovenmeer, village tranquille de la Campine anversoise - où tout se voit, mais rien ne se dit réellement -, dans une famille peu aisée : un père aimant (Sébastien Dewaele), une petite sœur (Amber Metdepenningen), mais aussi une mère alcoolique, parfois violente (Naomi Velissariou), qui ne lui montrait aucune affection et refusait d’admettre sa maladie. 

L’été de ses 13 ans fut celui des premiers jeux sexuels, avec deux garçons de son âge, ses amis d’enfance, Tim et Laurens qui invitaient des filles dans la grange pour tenter, au cours d’un jeu de devinettes, de leur faire enlever un maximum de vêtements. Eva ne faisait pas partie de leurs proies. Elle participait un peu malgré elle, pour ne pas être rejetée, l’emprise de ces garçons sur elle étant alors très forte. C’est celle qui était chargée de trouver une devinette suffisamment compliquée pour que le stratagème fonctionne. Cet été-là, Eva rencontrait Elisa (Charlotte Van Der Eecken), une fille un plus âgée, pourrie gâtée et méprisante - une relation malsaine qui l’entraîna dans une spirale irréversible de drame et de trahison, dont Eva ne s’est jamais remise. Aujourd’hui adulte, mal à l’aise en société, Eva a le plus grand mal à tisser des liens affectifs et sexuels avec les hommes. 

Adaptation d’un roman de Lize Spit, Débâcle fait le portrait saisissant de justesse d’une préadolescente en grand manque d’affection et de contact humain, sans cesse rejetée, d‘abord par une mère toxique qui la trouve « collante », puis par ses cruels camarades de jeu qui l’humilient verbalement et ne voient en elle qu’un garçon manqué. Le sujet des traumas enfantins est toujours risqué à illustrer à l’écran. On ne peut donc qu’applaudir l’audace de Veerle Baetens qui, pour son premier film de réalisatrice, s’attelle à illustrer la destruction graduelle d’une enfant avec le plus de pudeur possible. Certaines scènes s’avèrent néanmoins insoutenables et, de toute évidence, aucun spectateur n’en sortira indemne. Non seulement parce que le calvaire vécu par cette gamine est d’une violence atroce, mais aussi parce que, par la suite, personne n’est là pour l’aider, la soutenir, l’écouter ou la croire. Et le trauma enfantin initial de se transformer à l’âge adulte en quelque chose de beaucoup plus sombre. 

Outre un portrait pathétique d’une masculinité perverse dès le plus jeune âge, Débâcle montre les mécanismes impitoyables d’une inéluctable descente aux enfers. Les actrices qui se partagent le rôle d’Eva sont de véritables révélations : la petite Rosa Marchant semble porter la misère du monde sur ses frêles épaules tandis que Charlotte De Bruyne incarne une femme éteinte, perdue dans les ténèbres du souvenir de cet après-midi où tout a basculé.  

D’une noirceur inouïe, souvent crue et dérangeante, Débâcle est un choc qui, dès ses premières scènes, avec ce sentiment de fatalité et de catastrophe imminente, fait naître un malaise dans une ambiance poisseuse (mieux rendue par le titre néerlandais qui évoque une liquéfaction). La réalisatrice novice ne fait aucune concession, notamment lors d’une scène finale d’une tristesse infinie.

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