Un documentaire poignant sur le génocide à Gaza du point de vue de quatre journalistes palestinien·nes condamné·es à documenter l’anéantissement de leur propre peuple parce que personne d’autre ne peut le faire. Un hommage à celleux qui restent debout face à l’indicible et continuent à se battre pour leurs proches, pour leur terre et pour la vérité.
Hélène Lam Trong a rassemblé les images de plusieurs journalistes de l'AFP (agence d'information globale) ayant documenté pendant plus de 5 mois le début du génocide avant d'être évacués de la zone. À ces images s'ajoutent les témoignages de quatre de ces reporters.
Inside Gaza de Hélène Lam Trong

La réalisatrice, diplômée de l'Institut d'études politiques de Toulouse, de l'École des hautes études en sciences de l'information et de la communication et réalisatrice documentaire, nous montre de près les yeux de ces journalistes de l’AFP stationnés en permanence à Gaza. Adel Zaanoun, Mohammed Abed, Mahmud Hams et Mai Yaghi, le regard transformé, sont cassés, blessés à jamais par les atrocités dont iels ont été témoins. Un regard devenu vide à force de perdre leurs proches, de photographier l’inimaginable. Photographier et filmer pour que le monde voie, pour que le monde réagisse, mais comment continuer quand on devient la cible de Tsahal (Armée israélienne), quand personne ne relaie ces images parce qu’elles sont trop violentes pour être diffusées ou parce qu’elles sont remises en doute par Israël, déterminé à cacher la vérité au monde entier ?
Le documentaire débute par des images de Gaza le 6 octobre. La mer, le soleil, le marché, les familles qui déambulent et nagent ensemble. Puis le chaos de l’attentat du 7 octobre, date à présent ancrée dans toutes les mémoires. Quelques images pour contextualiser, ensuite directement, la riposte le jour même de l’État d’Israël sur la bande de Gaza.
Au départ personne ne comprend ce qu’il se passe au sein de la population palestinienne, les roquettes fusent. Les parents essayent de calmer les plus jeunes « Rassure-toi, ce sera sûrement une petite guerre de vingt jours comme d’habitude. » Cette phrase réconfortante d’un papa à son enfant donne déjà tout le contexte de la vie sous occupation. Un quotidien en sursis entre chaque attaque depuis 1948.
Tous·tes ignorent alors que cette « riposte » sera plus meurtrières encore que toutes les précédentes. Dès le 7 octobre, Gaza est complètement fermée par les forces d’occupation israéliennes. Personne ne peut quitter l’enclave. Personne ne peut y entrer non plus, ni journaliste ni aide humanitaire. Les Gazaoui·es deviennent donc les seul·es à pouvoir documenter l’horreur qui s’abat sur elleux. L’un d’eux dit d’ailleurs : « On préfère toujours avoir des journalistes étrangers avec nous parce que les images prises par des journalistes palestiniens sont toujours remises en doute par Israël »… et ne sont donc pas reprises par les médias occidentaux.
Vient ensuite le moment de l’exode vers le sud de Gaza, « lieu sûr » paraît-il. Les caméras filment alors les familles perdues, quelques bagages à la main, la terreur et l’incertitude dans les regards. Partir sans savoir quand ni même si on reverra sa maison. Mais partir quand même, car c’est le seul espoir alors de survivre.
Très vite, on se rend compte que le sud de Gaza n’est pas plus sûr que le nord, qu’aucune zone n’est épargnée et que les journalistes vont rapidement devenir des cibles claires de l’FDI (Force de Défense d'Israël).
Comment continuer à travailler quand ton gilet pare-balles « Press », censé te protéger, te met encore plus en danger ? Quand tu enterres tes proches jour après jour, quand tu survis dans une prison à ciel ouvert ? Et en même temps comment arrêter quand le monde entier reste silencieux et que l’impunité règne ? Il faut ajouter à tout cela la famine, le son menaçant et quasi perpétuel des drones, les coupures de réseaux et d’électricité, le manque de carburant. Chaque jour est une lutte.
Un des journalistes interviewés témoigne : « On est dans un enclos à bétail où le boucher vient chaque jour choisir sa victime. À Gaza tout le monde est en cage. » « À chaque instant, pouvoir mourir, que ce soit très envisageable est un sentiment non seulement effrayant, mais c’est aussi un sentiment qui te coupe de la réalité, ajoute Mai Yaghi. Ça ne m’importait plus de mourir. Jour après jour, je priais : "Mon Dieu, si c’est le moment pour mourir, fais en sorte que ce soit rapide. Oh Dieu, si je ne meurs pas, si c’est une blessure, que ce soit une amputation, mais pas des brûlures." »
Les quatre journalistes de l’AFP parviennent finalement à quitter la Palestine début 2024. « C’est comme partir sans âme, juste un corps. » Iels sont obligés de laisser des proches sur place, sans savoir s’ils se reverront un jour. La culpabilité de s’en sortir en connaissant le quotidien que vont continuer à vivre celleux resté·es au pays. Fuir leur pays en sachant que ce qu’iels ont connu là-bas n’existe déjà plus et n’existera plus jamais.
Depuis le début du génocide, entre 200 et 225 journalistes ont été tués par Tsahal.
Un cessez-le-feu est à présent signé, mais on sait par quelques sources encore vivantes sur place que les attaques et la violence continuent, que ce cessez-le-feu est violé tous les jours même si les médias occidentaux n’en parlent presque plus puisqu’il ne reste pratiquement plus personne pour documenter les atrocités commises par Israël.
« Je suis très fière du rôle que nous avons joué, explique Mai Yaghi. De celui qu’ils (les journalistes encore sur place à Gaza) jouent encore. Si le point de passage rouvre et que la guerre continue, j’y retournerai pour couvrir sans hésitation. »









