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Isola de Fabianny Deschamps

Publié le 24/10/2018 par Nastasja Caneve / Catégorie: Critique

Isola, île en italien. Isola, une île perdue entre deux mondes. Isola, dernier film de Fabianny Deschamps, réalisatrice de New Territories. Isola, c'est la terre "d'accueil" de Dai, une jeune chinoise débarquée là. Dai est isolée du monde, entre la Chine, l'attente désespérée d'un mari face à la mer qui les sépare. Comme dans son film précédent, la réalisatrice aborde la question du passage. Film défi, réalisé avec très peu de moyens, tourné sans autorisation, Isola est une œuvre hybride, à la croisée de l'art contemporain et du cinéma, qui offre une vision à la fois poétique et brutale sur la question brûlante de l'immigration.

IsolaPassage de frontière, comme dans New Territories où Li Yu veut passer clandestinement du Guangdong à Hong Kong pour suivre l'homme qu'elle aime. Dans Isola, Dai est passée, de la Chine à cette île. On ne sait pas quand ni comment mais elle est là. Seule dans une grotte qu'elle a aménagée avec ses rapines quotidiennes, objets cassés, abandonnés, qu'elle a ramassés ça et là dans les terrains vagues de cette île perdue. La grotte de Dai, cabinet de curiosités, est son repère, son cocon, comme ce ventre dans lequel grandit l'enfant qu'elle attend. Des parapluies suspendus, des mappemondes brisées, des poupées dépareillées, des tissus en lambeaux, des gyrophares en détresse. Un refuge que personne ne doit découvrir... Jusqu'à ce que.
Dai, aux airs de petite fille perdue, tapine. Elle va travailler comme elle dit. Certains paient ses services, d'autres pas. Elle se débrouille, la tête haute, accumulant quelques vingt euros soigneusement emballés sous son matelas de fortune. Interprétée par Yilin Yang, le personnage de Dai est évanescent. À la fois d'une pureté virginale, d'une candeur enfantine et d'une troublante dureté, Dai nous échappe. Elle attend ce mari marin dont on ne sait presque rien.
Dai attend. Une attente longue, comme celle de tous ces migrants qu'elle voit défiler sur le port. Des migrants arrivant par bateaux entiers, encerclés par les forces de l'ordre. Elle est passée dans les mailles du filet. Elle les observe, scrupuleusement, à la recherche de son mari perdu. En vain. Un film sur l'immigration, donc. Mais, la cinéaste plasticienne Fabianny Deschamps l'aborde d'une manière détournée. Isola, île perdue, île poussiéreuse et chaude, Lampedusa, cette île proche de la Sicile, qui a connu, ces dernières années, des arrivées massives de migrants venus d'Afrique.
Tourné en langue étrangère, Isola est un film au financement difficile. Chinois, arabe, italien, anglais, c'est un film cacophonique, multiculturel où toutes ces voix résonnent, où personne ne se comprend, et pourtant. Dai sauve la vie d'Hichem, échoué sur la plage. Elle parle chinois, lui arabe, deux mondes, deux vies se retrouvent là, deux âmes esseulées au milieu de nulle part. Dai tient Hichem enfermé dans une cage, son enveloppe protectrice, à l'abri du monde extérieur, dont elle seule a la clé.
Isola fait figure de cavalier seul au sein de la myriade de films sur l'immigration. Adopter le point de vue de Dai, c'est envisager l'immigration de l'intérieur et, paradoxalement, avec un œil extérieur puisqu'elle joue l'électron libre. Des scènes d'une subtile beauté où la mer et la mère se mêlent et s'opposent. Une mère protectrice, une mer dévastatrice. La musique d'Olaf Hund participe au côté impalpable du film. Quelque chose nous échappe, nous dérange, nous interpelle dans ce film-essai déroutant sur ce sujet délicat qu'est l'immigration.

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