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It's a free world de Ken Loach

Publié le 04/09/2008 par Dimitra Bouras / Catégorie: Sortie DVD
Quand on confond libéral et liberté
 
It's a free world de Ken Loach
Dans ce monde de requins où attaquer est la meilleure et unique défense, où il faut dévorer l'autre pour sauver sa peau, sans garantie de ne pas se faire engloutir rapidement à son tour, dans ce monde où l'on prône fallacieusement l'amour et le respect du prochain, où même les messagers de la générosité le font dans le but d'attirer des candides faciles à manipuler, où la dérision devient la seule réaction intellectuellement correcte, dans ce monde où la contestation et la « colère viscérale » sont taxées de payantes, voire de valeurs exploitables, faire un film qui dénonce, dans la subtilité et la nuance, l'exploitation de l'homme par l'homme est aussi suicidaire que de donner un miroir à un fou  en pleine crise ! Mais serons-nous aussi inconsistants pour crucifier Ken Loach et le traiter de doux rêveur, de contestataire de salon ou d'artiste ayant trouvé un créneau qui lui permet de gravir les échelons du succès et de la reconnaissance, sans lui reconnaître ses qualités de cinéaste, marxiste de surcroît, uniquement parce que ces films s'offrent aux spectateurs dans une grammaire et un vocabulaire simples qui ne leur demande aucun effort pour suivre l'histoire, et qu’ils s’adressent au grand public plutôt qu’aux cinéphiles ?!
À la manière de Rosetta qui dénonce son collègue gaufrier pour avoir un job, Angie (Kierston Wareing), dans It's a Free World, se lance dans une carrière de négrière pour échapper à la précarité professionnelle et financière.
Comme le précise Ken Loach : « C'est le système qui pousse les gens à agir comme ils le font. »
Pourquoi Angie traite ses ouvriers comme du bétail sans sourciller, si ce n'est que pour être concurrentiel sur le marché de la sous-traitance, et sauver son coin de soleil ? Oh, il ne s'agit pas de la grosse villa, avec garage pour deux voitures et option sur la piscine ! Il est juste question de pouvoir se loger, se nourrir et se vêtir décemment, sans devoir angoisser à l'approche des fins de mois, trouver une bonne école pour son fils, lui offrir des activités extrascolaires, autres que traîner seul devant la télé (la baby-sitter à domicile).
Où est le mal ? C'est vrai, quand on y pense mieux, ces ouvriers et ouvrières de l'Est, ils sont bien heureux de trouver du boulot, même physiquement pénible, dangereux et mal payé. Pour nous, mal payé, mais pour eux, c'est une fortune ! Imaginez-vous qu'ils font vivre toute leur famille avec ce salaire !
Il y a comme un air de déjà entendu; rappelez-vous, le Nord sidérurgique et minier qui allait chercher de la main-d'œuvre docile et peu rémunérée dans la Méditerranée alors que les ouvriers autochtones s'organisaient en syndicats et revendiquaient un salaire plus proche de leurs tourments par rapport aux bénéfices colossaux des industriels. Carmen ou Conchita sont remplacées par Maria ou Vassilka, et José ou Mohamed par Christophe ou Pierre (officiellement Krzysztof ou Pietrov).
Toujours selon Ken Loach : «L'exploitation de la main-d'œuvre de l'Est est essentielle pour l'économie anglaise. Cela permet des prix très bas et de la nourriture bon marché, puisque les gens sont sous-payés ». Cette exploitation permet également à la classe moyenne des sociétés post-industrielles de se maintenir dans un train de consommation bien qu'elle voie son pouvoir d'achat fondre comme neige au soleil ! Les politiques ne seraient-ils pas complices du travail sous terrain, pourvu qu'il soit encadré ?
Se revendiquant cinéaste militant, dont les premiers exploits furent de parler de ceux qu'on ne voyait jamais au cinéma; les chômeurs (My name is Joe), les femmes battues (Ladybird), les prêteurs sur gages qui ne lésinent pas sur les moyens pour récupérer leur dû et surtout, les bénéfices (Raining Stones) ; ayant fait escale dans le cinéma vindicatif avec l'organisation des ouvriers en syndicats (Bred and Roses), le conflit irlandais (Le Vent se lève) qui lui a valu la Palme d'Or, en passant par l'inter-culturalisme (Just a kiss), bref, ayant écumé tous les thèmes sociaux et politiques de la gauche européenne, Ken Loach, avec son fidèle scénariste, Paul Laverty, a bravé le courant dichotomique où les laissés pour compte sont gentils, sages et sans défense ni défauts, malheureux, incompris et maltraités par les autres; racistes, extrémistes et autres racailles.
Avec It' s a Free World, l'analyse subtile de la réalité politico-économique est d'autant plus pertinente que le film ne tombe à aucun moment dans les travers de la dualité entre le bien et le mal, les gentils et les méchants, mais au contraire, dresse le tableau, à la manière d'un Rembrandt, dans les nuances de l'ombre et de l'obscurité, d'une société régie par des relations professionnelles appelées à se généraliser et dans laquelle l'humain ou l'humanité n'a plus sa place.
Dans les bonus, des entretiens avec Ken Loach et Kierston Wareing où l’on apprend qu'elle allait faire une croix sur sa carrière de comédienne avortée pour se lancer dans le secrétariat de direction quand elle a reçu l'appel tant attendu et inespéré ! C'est-y pas beau ça ?


It's a Free World, de Ken Loach, édité par Cinéart et distribué par Twin Pics. 5 exemplaires à gagner, offerts Twin Pics. Voir notre page des concours.

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