A cinquante ans passés, Gabriel Laurens, détective privé spécialisé dans les affaires conjugales, est frappé par la mort de sa mère. Au même moment, sa nièce Jade fait irruption dans sa vie et lui demande de l’aider à élucider la mort de son père, présumée accidentelle. A contre-cœur, malgré la tendresse timide mais sincère qu’il voue à sa nièce, Gabriel accepte l’enquête et replonge dans le passé houleux et sinistre du frère jumeau qu’il a trop souvent méprisé.
L’Autre Laurens de Claude Schmitz
Entre la Belgique, le Sud de la France et le Nord de l’Espagne, L’Autre Laurens est un film en itinérance et en trois langues (français, anglais, espagnol) qui se déroule majoritairement le long de routes désertes dominées par des paysages arides et désolés. Les personnages qui les parcourent semblent tous à l’écart du monde, évoluant dans des milieux sordides et corrompus, et qui, pour cette raison, s’affrontent entre eux. L’hostilité du dehors reflète donc celle des personnages, et inversement. Au cœur de cette horde de malfaiteurs toujours soigneux de sauver les apparences évolue Jade, fille de parents fortunés, jeune et belle, dont l’audace et la détermination n’ont aucune limite, pas même devant la sévérité de Gabriel ou la condescendance des bikers censés veillés sur elle. La mise en scène triomphe à isoler complètement ce personnage, à l’enfermer dans une solitude subie qui résonne dans le silence ininterrompu du monde extérieur. D’un côté sa mère, perfide et cinglante, qui exerce une pression sur elle, de l’autre son père disparu qui continue d’influencer son état d’esprit, punk par nature, redoublant sa colère et sa soif de destruction. Car ce père qu’elle aime infiniment laisse derrière lui quantité de troubles et de questions sans réponses.
Ainsi l’intervention réticente de Gabriel, en raison de son métier et de ses liens avec le défunt. Mais Jade doit composer avec la rancune et la convoitise qu’il a toujours vouées à son père et qu’il lui crache au visage. Toutefois, cette animosité se retourne contre lui puisque Jade est habituée aux comportements sanguins et excessifs. Finalement, en filigrane d’une enquête menée à deux, leur relation évolue vers une complicité singulière et sensible - singulière puisque, en raison de leurs tempéraments assez similaires, leurs accrochages semblent étonnamment les rapprocher ; sensible, car une telle affection ne peut s’exprimer par des mots, mais plutôt par des regards, des gestes, des attentions. Gabriel reste dans une posture versatile jusqu’à la fin, reprochant à Jade ce qu’il semble secrètement apprécier chez elle. Les rapports de force peuvent changer entre eux dès lors que Gabriel ne projette pas sur elle le reflet de son frère, et que Jade accepte l’homme bourru et insatisfait qu’il est.
Des scènes nocturnes, des virées en voiture sous tension, des clubs lugubres aux enseignes en néons, des entrepôts désaffectés, des coups de feu, et, traversant les conflits, des personnages marginaux, déchus, tiraillés entre le bien et le mal, assoiffés de justice ou de vengeance ; L’Autre Laurens concentre une infinité de codes du thriller, du film noir, du policier et même du western qui, adroitement exploités et appropriés par le réalisateur, valident une poétique tantôt sombre, tantôt plus chaleureuse, liée à l’abandon et à la vanité des hommes, surtout des plus riches... Des incursions plus comiques, notamment avec ce duo de policiers véreux à la réplique absurde.
Mais plus encore, le film de Claude Schmitz aborde une grande diversité de sujets tels que les conflits de générations, la liberté, l’indépendance, l’estime de soi, l’illusion des apparences, ou encore les tensions identitaires et sociales. Un film d’une grande richesse dialectique, fait de fausses pistes, soutenu par une tension narrative constante, des scènes dialoguées très percutantes, et un travail des lumières et des couleurs que nous saluons particulièrement. Des actrices et acteurs aux prestations flamboyantes, à commencer par Louise Leroy qui ne fait que confirmer un début de carrière très prometteur.
L’Autre Laurens est un film à aller voir sans aucune hésitation, dès sa sortie prévue le 18 octobre dans les salles belges.