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L’Autre monde, un film de Gilles Marchand

Publié le 14/09/2010 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Le fond de la piscine


Et bien non ! De la superbe affiche du film, cette magnifique jeune femme de dos, à la croûte lunaire, qui nous entraînerait dans la nuit vers des horizons troubles au sortir de l’eau sombre d’une piscine scintillante, il ne reste finalement pas grand-chose… C’est que, malheureusement, L’autre monde n’arrive pas à sortir la tête de l’eau.

L’Autre monde, un film de Gilles Marchand

Pourtant, on l’avait bien à la bouche, l’eau … Outre Louise Bourgoin et ses atouts évidents, le film de Gilles Marchand avait tout, ou presque, pour devenir un sacré film noir sur des thèmes très contemporains : un jeune homme au bord de la mer vit une romance avec une jeune fille solaire, en sauve une autre de la mort et la poursuit, fasciné, sur Internet, dans un jeu vidéo, où il tente de la sauver, à nouveau, de son désir de mourir. Avec ses beaux archétypes féminins de film noir, une intrigue bien ficelée en forme de polar façon pervers manipulateur, ces incessants allers-retours entre monde réel et monde virtuel, L’autre monde était un projet ambitieux, riche de possibles cinématographiques, de références cinéphiliques, de jeux sur les images, de frissons et d’inquiétantes étrangetés…
Et puis Marchand, c’est le spécialiste d’un certain réalisme fantastique à la française. Scénariste attitré d’un tas de réalisateurs brillants comme Laurent Cantet à ses débuts, il cosigne les films de Dominik Moll (Harry, un ami qui vous veut du bien, le fabuleux Lemming), ou encore la très réussie adaptation du roman de Simenon, Feux Rouges par Cédric Khan. Son premier essai en tant que réalisateur, Qui a tué Bambi ?, faisait merveilleusement grimper l’adrénaline, entre Eros et Thanatos, à travers la fascination, mêlée d’effroi, d’une jeune infirmière pour son médecin chef. Cet obscur objet du désir, donc… Mais voilà qu’ici, tout fait plouf, et de la piscine de l’affiche du film, il ne reste que le fond – et ça fait mal sans petit pull marine.
Le film semble tout d’abord se perdre dans sa longue, très longue exposition où l’on suit chaque pas de Gaspard livré à lui-même dans ses vacances ensoleillée, avec ses potes, sa jolie amoureuse Marion, sa mer, ses piscines, etc. Le jeune couple tombe sur un téléphone portable et des sms étranges, et s’aventure, par jeu, à la poursuite de son propriétaire. Gaspard est déjà là, un peu victime de lui-même, derrière Marion, qui l’entraîne dans cette poursuite. Et victime, il l’est et le sera à plus d’un titre, d’une machination qui le dépasse, d’un désir qui l’envahit, de la superbe femme fatale qu’il va sauver, de lui-même, et de sa manière de se rêver un homme. Un peu embourbé dans tout ce qu’il veut mettre en place et raconter, le film retisse l’angoisse du polar en avançant à coups de truelles - comme ce long et lourd champ - contrechamp où Gaspard se noie dans les yeux de la belle en train de mourir sur le petit écran. On l’aura compris, il est foutu : plongeon en eaux troubles, par paliers.

Plus le film avance, plus il multiplie les oppositions systématiques ou les parallèles un peu grossiers. Les deux personnages féminins, chargés d’incarner, pour le premier, les joies de la chair, de la vie et du monde (mention spéciale pour Pauline Etienne qui s’en sort royalement, dans son rôle de jeune fille solide, butée et solaire), et pour l’autre, cette beauté vénéneuse où le désir des hommes vient se prendre et se perdre (Louise Bourgoin, si belle pourtant, en devient fade à force de n’être rien d’autre qu’une belle femme) sont de plus en plus caricaturaux, simplistes et finalement, aboutissent à une sorte de moralisme un peu harassant. Le montage du film construit poussivement ses oppositions, et la photographie va systématiquement des couleurs solaires des bords de mer aux noirs et bleus profonds du monde virtuel.
Mise à part la bande musicale du film, de très beaux moments dans le monde du jeu virtuel (signé Djibril Glissant) et la photographie irréprochable du film, L’autre monde n’arrive pas à construire cette ambiance trouble que tout pourtant cherche en vain à faire émerger. Et il finit par se noyer.

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