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L'Origine du monde de Laurent Lafitte

Publié le 05/11/2020 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

De Battre mon cœur s’est arrêté 

C’est peu dire que Jean-Louis (Laurent Lafitte), la quarantaine bien entamée, s’ennuie. Sa vie, son travail n’ont plus aucun goût. Le couple qu’il forme depuis 17 ans avec Valérie (Karin Viard) bat de l’aile. Ils ne font plus l’amour que pour sauver les apparences, « comme pour se débarrasser d’une corvée ». Et ce ne sont pas ses escapades nocturnes auprès des travestis du Bois de Boulogne qui arrangent les choses : Jean-Louis s’emmerde ! Au point où, un beau jour, son cœur s'arrête. Plus un seul battement dans sa poitrine, pas de pouls ! Michel (Vincent Macaigne), son meilleur ami, vétérinaire, ne peut que constater son décès. Pourtant, Jean-Louis est conscient. Il parle et se déplace comme le commun des mortels... et panique à l’annonce du diagnostic ! Déserté par la médecine conventionnelle, Jean-Louis se tourne alors vers Margaux (Nicole Garcia), l’autoritaire « gouroute » et coach de vie de son épouse, qui émet une théorie qui va mettre le malheureux face au tabou ultime : pour revivre, Jean-Louis va devoir à tout prix trouver « l’origine du monde » en suivant son fil… ombilical ! Autrement dit… Margaux ordonne au malheureux de photographier le vagin de sa maman, Brigitte (Hélène Vincent), 82 ans, avec laquelle il est en froid depuis des années. Le genre de mission impossible pour laquelle même Tom Cruise, aussi intrépide soit-il, déclarerait forfait ! Choqué, croyant qu’il passe à Surprise, Surprise, Jean-Louis comprend néanmoins qu’il s’agit là de sa seule chance de survie. Aidé par Michel et Valérie, aussi peu emballés que lui par la nature de la tâche, il va imaginer les stratagèmes les plus farfelus pour parvenir à ses fins.

La simple lecture d’un tel postulat rebutera à coup sûr les allergiques à l’humour potache de Laurent Lafitte (de la Comédie-Française), qui signe ici un premier film qu’ils s’empresseront d’éviter comme la peste. Ils auront tort. Car le petit miracle de L’Origine du Monde, adaptation d’une pièce de Sébastien Thiéry, c’est que la vulgarité que laisse supposer la prémisse s’efface pour laisser la place à un humour absurde que n’aurait pas renié le Bertrand Blier des grands jours. En résulte une comédie de boulevard tellement énorme, tellement consciente et heureuse de dépasser toutes les bornes de la bienséance et de l’acceptable, qu’elle en devient vite irrésistible. Comptant sur la complicité des spectateurs qui adhèrent à son humour bête et méchant, Lafitte est, de toute évidence, très fier de sa blague de sale gosse. C’est cette volonté inébranlable de briser le tabou ultime avec une bonne humeur communicative qui rend son film si attachant. Une fois le choc digéré, le récit prend des chemins de traverse pour aller là où on ne l’attend pas : vers la poésie, vers l’émotion. Et la comédie régressive tant redoutée de se transformer en grande comédie populaire. Révéler la nature exacte des péripéties serait un crime, puisque le grand plaisir du film consiste à se demander « mais jusqu’où oseront-ils aller ? »… Sachez juste qu’ils osent et qu’ils vont loin !

Laurent Lafitte dans l'Origine du monde

À bien y réfléchir, au sein du paysage cinématographique français, seul Laurent Lafitte pouvait se permettre ce geste scatologico-absurde tout en préservant intacts son charme, sa verve, sa subtilité de jeu et tout son crédit de trublion un peu bobo dont l’éternel numéro de vieil ado lunaire a fait le succès. Il suffit de se pencher sur sa carrière pour découvrir une poignée de personnages qui annonçaient les débordements de L’Origine du Monde, que ce soit le père indigne de Papa ou Maman, le violeur pathétique de Elle, l’ordure collabo d’Au Revoir là-haut, sans oublier ses apparitions hilarantes dans plusieurs cérémonies des César et au Festival de Cannes. Avec son physique de grand dadais à qui on donnerait le Bon Dieu sans confession et sa haine acharnée du politiquement correct, Lafitte est un phénomène irrésistible.

Dans L’Origine du Monde, sa quête n’est rendue possible que grâce à l’aide précieuse de Karin Viard et Vincent Macaigne qui donnent énormément de leur personne ; elle en épouse compatissante prenant un malin plaisir à humilier cette belle-mère qu’elle déteste (un sentiment réciproque) ; tandis que lui convoque son « Pierre Richard intérieur » pour incarner un vétérinaire gaffeur, capable, par amitié, de subir les pires humiliations quitte à passer pour un dangereux pervers. Les gags, nombreux, sont drôles et les dialogues franchement hilarants, tant le curseur de l’absurde est placé loin. Mais cette farce pour adultes qui n’a jamais peur de s’adonner au slapstick ne fonctionnerait pas si « la victime » n’était pas incarnée par une actrice au niveau des trois têtes d’affiche. Incarnant le seul personnage sain d’esprit du récit - une vieille dame fragile, complètement horrifiée par la situation, qui cache elle-même quelques secrets honteux et qui va devoir tout faire pour échapper à la folie ambiante et préserver sa dignité intacte -, l’exceptionnelle Hélène Vincent (La Vie est un Long Fleuve Tranquille, Le Sens de la Fête) n’aurait pas volé un second César du Meilleur Second Rôle Féminin !

Laurent Lafitte et Nicole Garcia dans l'Origine du monde

Jubilatoire et hilarant de bout en bout, L’Origine du Monde, à force de tout oser, est un formidable antidote au marasme inquiétant dans lequel s’enfonce la comédie populaire Made in France, le premier essai d’un joyeux fou furieux, qui se regarde avec la même fascination qu’un adorable marmot prononçant avec délectation ses premiers gros mots.

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