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Le Voyageur de Johan Pollefort

Publié le 03/03/2008 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

O Mort, vieux capitaine, il est temps! Levons l'ancre

Ce pays nous ennuie, ô Mort! Appareillons!
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre,
Nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons!

Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte!
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe?
Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau!

Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal.

 

On la trouvait plutôt jolie, Lily
Elle arrivait des Somalies, Lily
Dans un bateau plein d'émigrés
Qui venaient tous de leur plein gré
Vider les poubelles à Paris.
Elle croyait qu'on était égaux Lily
Au pays d'Voltaire et d'Hugo, Lily
Mais pour Debussy en revanche
Il fallait deux noires pour une blanche
Ça fait un sacré distinguo
Elle aimait tant la liberté, Lily
Elle rêvait de fraternité, Lily
Un hôtelier rue Secrétan
Lui a précisé en arrivant
Qu'on ne recevait que des Blancs.

Pierre Perret, Lily.

Le Voyageur de Johan Pollefort
Un an après son prix Cinergie pour le caustique Death’s Job, Johan Pollefoort effectue un revirement à 360° et change complètement de registre. À partir du poème de Baudelaire paru dans Les Fleurs du Mal, Pollefort nous raconte, en musique et en couleurs, l’itinéraire d’une jeune Africaine pleine d’entrain et de rêves, qui, tel le moustachu du Guide du Routard et la Lily de Pierre Perret, quitte son pays avec son sac à dos pour d’autres cieux.
Muet, uniquement illustré par la musique africaine qui rythme les pas de la jeune fille, le film de Pollefort emmène son héroïne dans un pays où elle ne trouvera que désillusions, où la couleur de sa peau la ramènera après bien des péripéties à la seule issue possible : la frontière.
Un pays qui rappelle celui de Sarkozy ?
Beau, drôle et émouvant, agrémenté de dessins virtuoses, Le voyageur est un de ces petits films qui, en 6 minutes seulement, en dit beaucoup plus que bien des longs discours.
La vaillante équipe de Cinergie.be l’a bien compris puisqu’au terme d’une délibération houleuse au cours de laquelle presque aucun animal ne fut maltraité, elle a décidé d’attribuer à Johan Pollefort son Grand Prix pour la deuxième année consécutive. Un Oscar, c’est bien. Un Grand Prix du court-métrage d’animation de Cinergie au Festival Anima, c’est encore mieux : c’est la cerise sur le gâteau pour un petit film qui, à n’en pas douter, fera le tour du monde sans être reconduit à la frontière.  

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