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Les films rêvés d'Eric Pauwels

Publié le 12/03/2010 par Philippe Simon / Catégorie: Critique

Et le verbe devint film

Les Films rêvés, le dernier opus d’Eric Pauwels, est sans aucun doute son film le plus ambitieux et le plus abouti. Invention cinématographique fascinante et essentielle, il dépasse, et de loin, la simple notion d’universel pour nous plonger tout cru, tout vivant dans une aventure qui ne nous lâchera plus. Expérience irréversible, rite de possession à même la peau de nos songes, Les Films rêvés est une histoire qui ne pouvait qu’être un film.  

Les films rêvés d'Eric Pauwels

Les Films rêvés, c’est l’histoire d’un homme qui se retire dans la petite maison au fond de son jardin. Au gré des saisons, avec le temps qui passe, il s’abandonne aux voyages, ces voyages que l’on fait autour d’une chambre, en compagnie de souvenirs et d’objets amis. Ici, une lanterne sourde anime, de sa fragile lumière, les mystères d’une épopée africaine. Là, une toile peinte claque comme la voile d’un navire sous grand vent, et appelle mers et océans. Ici, des photos jaunies de sauvages indigènes interrogent ce désir de paradis lointains, alors que là, le dessin d’une carte laisse deviner les frontières d’un pays improbable, pays imaginaire où l’homme, dans la petite maison, déambule et se promène, et dont la réalité a pour lui les attraits de ce que l’illusion a de plus vrai.

L’homme, cinéaste, tout en marchant, rêve et rêve de ces films qu’il aurait pu faire, qui auraient pu naître de ces lieux qu’il parcourt et qui l’habitent et le façonnent, des films qui seraient autant d’histoires, de regards qui, se cherchant, se trouveraient et qui, se mélangeant, se complèteraient en un gigantesque puzzle où chacun à sa manière serait alors comme la pierre de touche d’un film qui les contiendrait tous.

Et dans ce jeu des récits qui s’emboîtent comme les éléments gigognes d’un univers en pleine fabrication, dans cette Babel de vies singulières où se croisent des destins impossibles et pourtant véridiques, Eric Pauwels a mis en scène le film fabuleux dont rêve cet homme.

Mise en scène, la formule est presque trop faible pour rendre compte du travail et de l’invention dont fait preuve Les Films rêvés. S’inspirant de la stratégie de l’araignée, et gardant en mémoire la chorégraphie d’un vol d’étourneaux, Eric Pauwels construit son film comme une immense toile spiralée où les différents éléments qui le composent se répètent en un chant sériel à l’effet hypnotique, nous entraînant, de résonance en résonance, vers ce lieu labyrinthique où la force du rêve et la puissance de l’imaginaire rendent inefficaces les frontières, aberrantes les limites, impossibles les distinctions entre rêve et réalité.

Plus que d’une construction, il faudrait parler ici de la mise en partage d’une langue véritablement inouïe. Une langue dont l’apprentissage serait l’instant du film, où apprendre serait participer à son élaboration, et où parler cette langue serait découvrir que regarder peut se conjuguer entre vérités et mensonges en une multitude d’histoires uniques et par là même déjà communes.

Pour composer le limon poétique de son film, ses mots comme sa grammaire, Eric Pauwels a convoqué une multitude d’images récurrentes évoquant les quatre éléments, et ce balancement premier, celui du flux et du reflux, l’invitation aux voyages. Images de vagues, de mer, de cieux, et puis de vent, de plage, de dunes, de feu et de soleil, de neige et de pluie, et puis des arbres et des images venues d’un bestiaire étonnant, grenouille, pigeon, chien, araignée, chevaux, et les travaux des hommes avec ces rails parallèles qui se lancent dans tous les coins du monde vers un lointain inaccessible et reviennent vers ce tout proche, cette maison au fond du jardin qu’embellit le rythme des hivers, le retour des printemps et où, solitaire, l’homme s’entoure d’autres, des autres, de tous les autres.
Et toutes ces images sont les images dont les histoires ont besoin pour voir le jour et faire entendre leurs voix. Chaque histoire les décline d’une façon particulière, et chaque histoire en ajoute de nouvelles et trouve, grâce à elles, sa place sur l’impossible cartographie des rêves du conteur. Comme l’homme dans la maison au fond du jardin, Eric Pauwels, cinéaste, possède ce savoir caché, celui qui consiste à lier des images afin de faire surgir des histoires, des histoires qui, par la magie du cinéma, deviennent des films et révèlent ainsi l’invisible présence du territoire qui les porte. Images anciennes d’un film sans cesse recommencé, images rêvées d’un film en train de se faire, images tournées d’un film qui ne verra jamais le jour, elles sont toutes là au rendez-vous de ce qui pourrait être une immense leçon de vie.

Car bien sûr, les histoires de l’homme comme les films d’Eric Pauwels nous parlent et nous disent quelque chose, quelque chose sur les grands mythes qui nous traversent, sur notre goût d’éternité, sur nos appétits d’évasion quand nous songeons à la force de la liberté, au parfum de l’amour, à l’effroyable beauté de la vie et de la mort. Elles sont toutes là, ces émotions premières, tapies en creux des histoires, leur donnant du souffle et de l’humour, de l’ampleur et de l’esprit et, magie de l’invisible qui se donne à voir enfin par le jeu des combinaisons et l’intelligence des arrangements, elles accouchent en un seul geste magnifique d’une constellation de mondes, les nôtres, tous les nôtres.

Les Films rêvés demande du spectateur un abandon sans concession, une complicité totale. Cinéma de l’impossible, il nous demande d’y croire, de faire corps avec lui, d’être de toutes les utopies comme on est de toutes les histoires.

Et prenant pied sur cette carte des films rêvés par Eric Pauwels, succombant à l’appel du grand large, du haut chemin, voire du bout du monde, redevenus pour l’heure enfant, chien, esprit, car les histoires captivent les enfants, font sourire les chiens, et parlent aux esprits, rien n’est plus simple alors que de faire un pas en sa compagnie pour le plus merveilleux des voyages, celui qu’ensemble nous serons seul à faire et tellement à partager.

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