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FIFF 2018 - Mitra de Jorge Leon

Publié le 28/09/2018 par Fred Arends / Catégorie: Critique

En s'inspirant du parcours de la psychanalyste iranienne Mitra Kadivar, Jorge León élabore une réflexion sur l'enfermement et l'altérité et propose un film multiforme ainsi qu'un magnifique hommage à la voix humaine. En 2013, sous la dénonciation et la pression de voisins, la psychanalyste iranienne Mitra Kadivar est enfermée de force dans un hôpital psychiatrique à Téhéran pendant plusieurs semaines. Elle demande de l'aide au psychanalyste français Jacques-Alain Miller qui met sur pied une pétition demandant sa libération1

FIFF 2018 - Mitra de Jorge Leon

Le cinéaste s'empare de cette histoire puissante en adoptant une structure formelle chorale. Les différents niveaux de narration, par la voix-off, les chants et les témoignages face-caméra, se croisent et fonctionnent réellement comme un ensemble vocal. Cette accumulation de strates narratives aboutit à une forme de confusion, de pertes de repères car Jorge Léon travaille également à l'activité du spectateur, à l'aiguisement de son regard et de son écoute.
Alors que Before We Go, son précédant film, s'articulait sur la question du corps en ce qu'il pouvait être vécu à la fois comme enfermement (un corps mourant) ou comme libération (la danse), la voix est centrale dans Mitra. Libératrice et expression d'un sujet, cette voix n'est pas seulement celle évidemment indispensable de la psychanalyse, mais elle devient, à travers le prisme du montage, celle des autres, ces « fous » de notre société. En amenant le récit de Mitra dans l'enceinte d'une institution psychiatrique - à travers des ateliers qu'il a pu mené avec des patients (voir entretien avec Jorge León) - le cinéaste ouvre la question de l'enfermement à celle de l'altérité et de la normalité. Les dialogues qui s'instaurent révèlent avec rire ou violence la difficulté d'être différent, d'entendre des voix, ou d'avoir une sensibilité au monde plus intense. Cette voix peut également être chant de réconfort pour ceux qui n'ont pas la capacité d'exprimer la leur.
En osant mêler différents matériaux formels, Jorge León parvient à un cinéma de sensations ainsi qu'à la vision du film en train de se faire. Les répétitions des choeurs participent fortement à cette perte de distance entre la matière du film et ce à quoi on assiste.
La musique, magnifique, est l'un des éléments qui enrichit le récit et sublime la question de la voix. De même, les apparitions soudaines de Mitra Kadivar dans des décors de ruines, ajoutant à la dimension tragique de ce personnage singulier, visage d'un ovale antique, mène le spectateur vers des contrées fantastiques inattendues.
Dense et pourtant baigné par la sobriété, Mitra est un film qui fait entendre un doux chant d'humanité.


1Cet enfermement a d'ailleurs fait l'objet d'une controverse en France, plusieurs personnes mettant en doute la véracité quant à un enfermement forcé. La célèbre psychanalyste Elisabeth Roudinesco a pris une part active dans cette polémique.

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