Myope ou presbyte ? (Positif 575)
Le numéro 575 (janvier 2009) de Positif démarre à toute allure avec Nuri Bilge Ceylan, l’un des cinéastes les plus excitants du cinéma contemporain. Photographe d’origine, le réalisateur turc nous a offert Kasaba, Nuages de mai, Usak, Les Climats, quatre films superbes qui nous ont laissés pantois par une précision du cadre plutôt qu’une maîtrise de la mise en scène évoquant Bergman et Antonioni. Les trois singes, son cinquième long métrage, a obtenu, lors du Festival de Cannes 2008, le prix de la mise en scène, of course, et sort actuellement dans les salles parisiennes (pour Bruxelles, mystère et boule de gomme).
Mais l’article qu’il faut absolument lire dans ce numéro de janvier s’intitule Sentinelles et scrutateurs, deux visions, deux infinis de Floréal Peleato. S’inspirant d’une réflexion de Julien Gracq, « les écrivains qui, dans la description, sont myopes et ceux qui sont presbytes », Peleato n’hésite pas à affirmer que certains cinéastes sont myopes et d’autre presbytes en quatre pages bien argumentées qui nous ont laissés comme deux ronds de flans. Les titres cités et les réalisateurs sont convaincants y compris la touche finale sur la double vision des cinéastes constructeurs. Kubrick, Resnais, Welles, Lynch, Hitchcock, Bergman, Malik et Tarkovski s’en tirent mieux que les « purs narrateurs, car la double vision – portez-vous des lunettes varilux, comme votre serviteur ? – bouleverse le centre de gravité d’une histoire et du regard qu’on porte sur elle : les deux infinis s’y côtoient ».
Une blague de potache ? Pas du tout. Il y a peu, Jaco Van Dormael nous expliquait qu’il pratiquait un maximum de plans rapprochés à cause de sa myopie et, ajoutait-il devant notre perplexité d’utilisateur de varilux, que son professeur à l’INSAS, André Delvaux, à l’inverse de lui, cadrait un maximum de plans larges dans tous ses films. Presbyte ? Bienvenue dans le monde des verres à double foyer ou progressif.