Cinergie.be

Offscreen 2023 : FAIRYTALE (SKAZKA) de Aleksandr Sokurov

Publié le 03/04/2023 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Knocking on Heaven’s Door

Adolf Hitler, Benito Mussolini, Joseph Staline et Winston Churchill, toujours mégalomanes, errent au purgatoire. Refusant d’accepter leur mort, ils frappent à la porte du Paradis dans l’espoir d’une entrevue avec Dieu. En attendant, ils ressassent leurs regrets, leurs obsessions, leurs idées fixes, s’envoient des piques et s’adonnent à la philosophie de comptoir à grand renfort de longs monologues et de réflexions vaseuses. Au passage, ils croisent le Christ et Napoléon, mais aussi leurs propres doubles. Aucun d’entre eux n’a changé et tous perdent patience devant cette satanée porte, qui reste définitivement fermée.

Offscreen 2023 : FAIRYTALE (SKAZKA) de Aleksandr Sokurov

Ce qui commence comme une blague du style « Hitler et Staline entrent dans un bar… » n’est autre que le nouveau film d’un des grands cinéastes visionnaires de notre temps (Mère et Fils, Moloch, L’Arche Russe, Faust…), qui ressuscite une fois encore les fantômes du passé pour réfléchir par l’absurde à l'héritage des atrocités perpétrées au XXe siècle. Comme souvent chez le cinéaste russe, la forme est brillante et originale, mais cette fois, elle découle d’une triste réalité. Exilé de son propre pays, où il ne mettra probablement plus les pieds sous peine d’être emprisonné par le régime de Poutine (pour avoir publiquement critiqué l’invasion de l’Ukraine), Aleksandr Sokurov disposait d’un budget dérisoire pour ce qui sera probablement – c’est lui qui l’affirme – son dernier film, une coproduction Russie/Belgique.

Un carton introductif précise que ni la technologie deep fake ni l’intelligence artificielle n’ont été utilisées dans la création de Fairytale. Entre animation et essai expérimental, farce et réflexion philosophique, Sokurov propose des collages de films d’archives (les personnages historiques sont entièrement « joués » par eux-mêmes, seuls les mouvements de leurs lèvres ont été altérés, image par image, pour coller aux dialogues) et montre les despotes déambulant dans de grandioses décors animés (volcans en éruption, orages dantesques, ruines de temples majestueux…) Le cinéaste propose des tableaux d’une bizarrerie qui pourra fasciner autant que rebuter, puisque tous ces personnages errent au ralenti pendant 78 minutes, la lenteur pesante de leurs mouvements ajoutant au caractère onirique et anxiogène de l’ensemble.

Entre grands discours, petites insultes et autant de dialogues de sourds (chacun s’exprimant dans sa propre langue et restant fièrement campé sur ses positions), ce film inclassable et répétitif en diable ne propose (volontairement) aucune évolution. C’est un parti-pris casse-gueule, rappelant dans une certaine mesure les comédies dépressives et absurdes de Roy Andersson ou les sketchs des Monty Python - le rire en moins. Néanmoins, pris comme une farce absurde, Fairytale s’avère en fin de compte une expérience égale à nulle autre, parfois pour le pire (certaines incrustations ratées donnent à certains passages des allures de sketchs amateurs sur YouTube), mais souvent pour le meilleur.

Tout à propos de: