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Pierre de Bellefroid, Beyond the blue

Publié le 10/03/2022 par Sarah Pialeprat et Constance Pasquier / Catégorie: Entrevue

Rencontre avec Pierre de Bellefroid, réalisateur à ses heures, comme il aime à le dire, et actif au sein de l’atelier Graphoui depuis de nombreuses années. Entraîné par son oncle dans une folle aventure, il cosigne avec lui le documentaire Beyond the blue et nous raconte cette épopée dans laquelle passion rime avec avion.

Cinergie : Pierre, vous êtes actif dans le cinéma en Belgique mais assez discrètement. Pouvez-vous retracer votre parcours ? 

Pierre de Bellefroid : Je suis né à Huy et j’ai grandi dans le Brabant Wallon, puis en Ardenne. Je suis entré à l’IATA (Institut d’enseignement des arts, techniques et artisanat) à Namur, une école secondaire qui proposait des options en audiovisuel. Sur le côté, j’ai fait un peu de photos et je me suis dirigé vers des études plus large en m’inscrivant en communication, à Bruxelles, puis à l’école de photo Agnès Varda (que je n’ai pas terminé) et Elicit à l’ULB (que je n’ai pas terminé non plus). Tout ça m’a apporté plein de choses et j’ai trouvé du travail en communication au Ministère de la défense durant 3 ans. J’ai aussi participé activement au collectif Kino* dans ses débuts, en organisant des KinoKabarets et un Kino bus. C’était très intéressant et très formateur. Grâce à ça, j’ai rencontré une personne qui travaillait à Graphoui. Je l’ai remplacée durant son congé de maternité, et je suis resté à Graphoui depuis lors !

 

C. : En quoi consiste votre travail à l’atelier Graphoui ?

P.d.B : Je fais toutes sortes de choses. Je m’occupe de post production, de la promotion, de la communication. Je fais des génériques… beaucoup de génériques (rires !) Graphoui est un collectif donc on suit tous les projets de films ensemble selon les affinités que l’on a avec les dossiers reçus. Donc, je fais le suivi de certains projets de près et puis d’autres de plus loin. Là, je viens de terminer le montage du documentaire De Schaduwwerkers d’Annelein Pompe, une fable autour d’un pigeon... un très beau film !

 

C. : Mais nous nous rencontrons pour votre projet personnel, un film que vous avez coréalisé et qui s’appelle Beyond the blue. Pouvez-vous nous dire comment a commencé cette histoire ?

P.d.B : Cette histoire a commencé avec mon oncle qui est aussi mon parrain : Ladislas De Monge. Ladislas est plasticien, sculpteur et designer. Nous avons déjà fait plusieurs projets ensemble durant ces 20 dernières années. Ce projet est né en 2009. Cette année-là, Ladislas a trouvé des documents sur son grand-oncle dans les archives familiales : Louis De Monge qui était un ingénieur dans l’aviation au début du siècle dernier. Ladislas découvre alors qu’il a participé à la construction d’un avion au côté d’Ettore Bugatti et en cherchant un peu il découvre que pas mal de gens s’intéressent à cet avion et qu’il existe même une association, la Bugatti Aircraft Association ! De fil en aiguille, quelqu’un lui dit qu’un gars nommé Scotty Wilson est en train de construire l’avion à l’identique, en Oklahoma. Scotty est un ancien officier de l’US Air Force. Il a découvert cet avion dans les années 70 ou 80 et il a flashé, surtout au niveau esthétique. L’avion est toujours resté comme ça quelque part dans sa tête, et dès sa retraite il décide de monter un projet de reconstruction.

 

Beyond the blue de Pierre de Bellefroid

 

C. : Mais l’histoire elle-même de cet avion est assez particulière ?  

P.d.B : Oui, en fait cet avion a été construit dans les années 30, juste avant la guerre et en 1939 lorsqu’il est enfin terminé, la guerre éclate. L’avion n’a donc jamais pu voler. Il a été conçu par Ettore Bugatti, un personnage assez mythique qui a construit des voitures mais aussi des bateaux, des trains… et donc également par Louis de Monge. Bugatti est un peu le chef d’entreprise, le financier et Louis est le designer. Lorsque Ladislas apprend ça, il écrit à Scotty pour lui dire qu’il possède des tas d’archives sur cet avion. Et c’est comme ça que leur relation a commencé… En 2010, Scotty invite Ladislas en Oklahoma. Il part pour la première fois, seul. Avant de partir, il me dit : « il faut absolument faire quelque chose », je lui donne donc une caméra, un micro pour qu’il puisse documenter son voyage. L’année suivante, il me relance avec cette histoire et j’accepte alors de participer. L’année suivante, nous sommes partis ensemble aux Etats-Unis grâce à un passionné d’avion qui a payé nos billets. Petit à petit, on s’est dit qu’il fallait continuer ! Et ça fait dix ans ! (rires)

 

C. : Pourquoi autant de temps ?

P.d.B : D’abord parce que nous n’avons pas réussi à financer le film, ce qui fait perdre du temps à tous les niveaux. Et puis, il y a eu plein de gens sur le projet… et aussi plusieurs montages. J’avais fait un premier montage, proche du road movie mais les retours que nous avons eus disaient tous que ce n’était pas très clair. Et c’est ce que je voulais au départ je l’avoue, faire un truc pas clair, enfin disons plutôt abstrait, donc plus poétique, avec plein de désynchronisations. J’aimais bien ça mais les gens à qui je le montrais me disaient tous qu’ils n’y comprenaient rien ! Donc j’ai refait un montage. Du coup, le film a pris une forme documentaire plus classique et moins chaotique avec plusieurs entretiens face à face. Mais bon voilà, pourquoi ne pas rester simple quelquefois ?

 

 Beyond the blue de Pierre de Bellefroid

 

C. : Le financement s’est finalement fait avec un crowdfunding…

P.d.B : On a récolté de quoi finir le film, c’est-à-dire travailler avec quelqu’un pour le mixage et pour l’étalonnage et d’autres finitions, puis les sous-titres. Ce sont des choses qui nécessitent évidemment de l’argent. Après, je ne vais pas mentir, travailler chez Graphoui m’a beaucoup aidé puisque j’ai accès à des outils. Et puis l’Atelier Jeunes Cinéastes (AJC) nous a aussi prêté du matériel, nous a permis de discuter du projet et d’avoir des retours… Mais bien sûr au-delà des outils, il y a des choses qui coûtent de l’argent et qu’on ne peut pas faire soi-même. Ce dont j’ai parlé mais aussi les affiches qui ont été faites par un illustrateur, Etienne Pelissier.

Au total, nous avons récolté 4.500€. Soixante personnes ont participé. Ce n’est pas assez, mais on fait aussi avec ce qu’on a et on accepte de ne pas se payer. On a édité un dvd pour l’offrir aux participants. Lorsqu’on fait un crowdfunding, on doit proposer des contreparties. Il y avait donc des dvd, des affiches, des broches en argent (fabriquées par Ladislas), un modèle réduit d’avion, etc.

 

C. : Le film n’est pas qu’un film sur un avion ?

P.d.B : Non, c’est une aventure humaine avant d’être une aventure sur un avion. C’est un film qui raconte le rêve, l’obsession d’aller jusqu’au bout. En parallèle, il développe le fait que l’histoire se répète (sans trop dévoiler…), car il ne faut pas oublier que l’aviation, au début du siècle, c’était un truc assez dangereux et plutôt expérimental. Le but était aussi de faire un film en mémoire de Scotty qui est un vrai personnage… Tous les gens qu’on a interviewés dans le film sont morts aujourd’hui. Je suis content d’avoir une trace de leur histoire. Et d’ailleurs les gens qui ont vu le film disent que c’est émouvant.

 

C. : Y a-t-il des diffusions prévues ?

P.d.B : Pour le moment tout est bloqué. On a partagé le film avec les personnes qui ont participé au crowdfunding.

Si on était dans un monde normal, l’idée serait de faire une première au Musée royal de l’armée. On a un bon contact avec une personne qui semble intéressée. Il existe aussi un festival Bugatti en Alsace… Eh oui, il y a vraiment des festivals sur tout ! Après, la diffusion, c’est un métier à part entière et le mieux serait de payer quelqu’un pour faire ça. Mais voilà… Je crois que ce n’est pas vraiment un film de festival mais bon si quelqu’un a des idées, il peut toujours me contacter via Cinergie ! 

 

Le site du film : http://ram-dam.be/beyondtheblue-movie/


* Kino : Kino est un mouvement cinématographique international, consistant à réaliser des films sans budget, dans un esprit d’entraide, non-compétitif, de liberté et de bienveillance.
Sa devise est : « Faire bien avec rien, faire mieux avec peu, mais le faire maintenant. »

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