Publication : Arte et le cinéma
Arte est une exception culturelle dans le paysage d’une télévision (tant publique que privée à de rares exceptions près) diffusant une culture de la consommation, une sorte de Prozac entre deux spots publicitaires. Les annonceurs - et c’est logique dans une culture du tout économique - entendent, sinon contrôler, tout au moins guider les désirs des téléspectateurs. D’où l’apparition, depuis une décennie, d’un formatage qui ne peut que creuser un fossé de plus en plus grand entre le cinéma (pour qui le temps de la durée et de la narration sont cruciaux) et une télévision où le flux homogénéisant et le direct sont une règle ne souffrant pas d’exception. La télé généraliste ne diffuse plus que des films-événements ayant le souci du spectacle avant tout pour séduire le plus grand nombre. C’est-à-dire du transitoire ou encore des téléfilms dont le formatage visuel, le manque de complexité des personnages, la pauvreté du vocabulaire, l’absence de temps-morts sont le sceau. Que ne ferait-on pas pour éviter le zapping en prime-time? N’est-on pas dans un déficit démocratique lorsque la diversité et le débat disparaissent au profit d’une sorte de dictature du plus grand nombre ou du plus petit commun dénominateur ? A défaut d’y répondre de façon tranchée, posons-nous au moins la question.
Dans certains pays d’Europe, comme l’Allemagne ou la Grande-Bretagne, nous signale Michel Reilhac dans les entretiens qu’il a accordés à Frédéric Sojcher (Arte et le cinéma, le désir d’autre chose) le divorce entre cinéma d’auteur et la télé de service public est consommé. Le cinéma d’auteur, déjà minoritaire, est-il destiné à occuper une niche (la nuit ?) dans le paysage du tout-à-l’image actuel ?
Lestée du boulet publicitaire qui enchaîne plus d’un chaîne, Arte marque sa différence, respecte la démarche créative des réalisateurs, exemple quasi-unique dans une Europe qui devrait avoir le souci d’en étendre le modèle. Car rien n'est irréversible, et la diversité culturelle peut s’exprimer sur les nouveaux supports qui apparaissent à l’horizon, que ce soit avec l’usage devenu familier du DVD qui permet la constitution de petites cinémathèques privées ou avec la télé numérique ou la VOD (vidéo on demand).
Michel Reilhac, d’ailleurs, émet l’hypothèse de la création d’une télévision européenne de service public qui serait diffusée en plusieurs langues, dans divers pays d’Europe, et aurait une haute tenue culturelle et éducative. « Une Chaîne culturelle européenne pour fédérer les minorités. Car si vous considérez qu’il y a un petit nombre de téléspectateurs dans chaque pays d’Europe réceptifs à une télévision culturelle…ces minorités additionnées pourraient commencer à faire nombre. Il faudrait inventer un modèle exactement inverse à ce qui existe aujourd’hui et partir d’un concept de télévision européen, qui dès le départ, s’affirmerait comme ayant vocation à diffuser dans toute l’Europe, avec un public relativement restreint dans chaque pays. »
Michel Reilhac, directeur général d’Arte France Cinéma se pose toutes les questions que les cinéphiles se posent et, surtout, envisage des pistes pour l’avenir dans une série d’entretiens avec Frédéric Sojcher, réalisateur de Cinéastes à tout prix, Maître de conférences à l’Université de Paris I-Panthéon/Sorbonne. Un ouvrage passionnant qui centre le débat, chose que de nombreux sociologues ou médiologues négligent, autour de la création cinématographique et de sa dynamique que l’Europe à tout intérêt à soutenir si elle ne veut pas devenir droguée au pop-corn.
Arte et le Cinéma, Le désir d’autre chose, entretiens avec Frédéric Sojcher, Editions Séguier Archimbaud, collection, carré Ciné.