Regards sur les cinémas chinois
Regards sur les cinémas chinois
Bien que de régimes politiques et de particularismes régionaux différents, la Chine continentale, Taiwan et Hong Kong sont, depuis plus de soixante ans, les trois pôles du cinéma chinois. Il y a donc, comme le souligne Pascal Lorot dans l'éditorial du passionnant numéro 17 de la revue Monde Chinois, une pluralité que ce dossier consacré au cinéma met en avant.
Depuis toujours, Hollywood est le soft power de l'influence du rayonnement et du prestige des Etats-Unis dans le monde. Pour Lorot, il n'y a pas de grand peuple sans une forte culture. Mieux, « le cinéma est un instrument du soft power car il permet de construire le réel, de modifier les représentations et de proposer une autre vision de la société ». D'où le défi de la cinématographie chinoise : Art ou Industrie ?
Christophe Falin nous propose deux articles : Une brève histoire du cinéma chinois et Shanghai, années trente (de l'enfer des pauvres à la résistance anti-japonaise). La première grande période du cinéma chinois se situe à Shanghai, dans les années trente, avec la naissance d'une industrie et le passage du muet au parlant. Epoque du succès de grands films artistiques (comme La Divine, 1934 de Wu Yonggang) qui suivent ceux des films d'arts martiaux.
1948 voit la sortie du film de Fei Mu, Printemps dans une petite ville, chef-d'œuvre redécouvert au Festival de Venise, il y a 10 ans (voir notre entretien avec Nicola Mazzanti). À Hong Kong, Golden Harvest succède aux productions de films d'arts martiaux de Shaw Brothers. En Chine continentale, apparaissent les films de la cinquième génération comme Terre Jaune de Chen Kaige et Le Sorgho rouge de Zhang Yimou. Tandis qu'à Taiwan, apparaissent Edward Yang et Hou Hsiao-hsien.
Revenons à ce prodigieux Shanghai des années 1930, une ville devenue mythique, où se sont jouées, en même temps, plusieurs séquences : le front de la résistance anti-japonaise et de la guerre civile. Enfer des pauvres, paradis des aventuriers, actions des résistants, les cinéastes chinois des années trente filment surtout la richesse (le rythme trépidant des night-clubs) et la misère (les taudis que se partagent les démunis, les travailleurs et les intellectuels). Les films des années trente, tournés dans les studios Mingxing, Lianhua, etc., puis dans le décor urbain des concessions anglaises et françaises (le Japon a envahi la ville en 1932) sont foisonnants et superbes : cet âge d'or (1930-1940) va s'interrompre lors du déclenchement de la guerre du Pacifique.
La coexistence du muet avec le sonore (jusqu'en 1936, le son étant arrivé en 1931) est une autre marque de fabrique de ce cinéma shanghaïen qu'a reconstitué Center Stage (1). Réalisé en 1992, le film de Stanley Kwan, réalisateur originaire de Hong Kong, nous fait revivre l'ambiance des studios de Lianhua. Il nous conduit sur les traces de Ruan Lingyu (la Greta Carbo chinoise), à travers d'étonnantes images d'archives (photos, extraits de films, reconstitutions de films disparus) et des entretiens avec les actrices l'ayant côtoyée. Maggie Cheung, époustouflante dans le rôle de Ruan Lingyu (Prix de la meilleure actrice au 42ème Festival de Berlin) est entourée de réalisateurs ayant survécu et de Nie Er, compositeur d'une chanson pour enfants (1935) devenue l'hymne national de la Chine communiste.
Deux autres films récents nous font revivre le tableau de cette époque. Purple Butterley (2003) de Lou Ye (voir l'entretien accordé à Falin) et Lust, caution d'Ang Lee (Lion d'Or à la Mostra de Venise) qui commence dans le Shanghai de 1942. La relation entre Wang Jiazhi (Tang Wei), étudiante, résistante et Mr Yee (Tony Leung) n'a pas du tout plu à Beijing. On se demande si le déferlement contre le rôle de l'actrice Tang Wei est uniquement lié aux scènes sexy (coupées de 40 minutes en Chine) ou plutôt au refus d'un rôle que les résistants lui ont demandé puis imposé. Christophe Falin écrit : « Devant tant de mépris pour sa personne, elle préfère finalement sauver celui qu'elle devait assassiner, au sacrifice de sa propre vie, probablement parce qu'il a su lui donner ce que les résistants chinois lui ont toujours refusé ».
Wafa Ghermani signe un article sur la complexité du cinéma taïwanais, partagé entre son ex- représentation de la Chine et la Chine continentale qui l'a remplacé à l'ONU (sans parler de la levée, en 1987, de la loi martiale). Les premiers films de la République de Chine ou de Taiwan sont des films de propagande anticommuniste ou calqués sur le modèle occidental (une sorte de monde bucolique confucéen). Puis, King hu quitte les Shaw Brothers de Hong Kong et réalise, en 1966, (en mandarin, s'il vous plaît !) Dragon Gate In (2). Au tout début des années 1980, le nouveau directeur du CMPC (Central Motion Picture Corporation), organe cinématographique du Kuomitang contrôlant le cinéma taïwanais, décide de créer une nouvelle génération de réalisateurs. On peut dater l'arrivée des nouveaux cinéastes par deux films collectifs : In Our Time (1982) et L'Homme-Sandwich (1983). La Nouvelle Vague chinoise vient de naître avec des réalisateurs qui vont faire le tour du monde des festivals, y gagner moult récompenses, être distribués en France, en Italie, en Belgique, au Japon et rester inconnus voire invisibles sur leur propre territoire. De La Cité des douleurs (Lion d'Or au Festival de Venise 1989), à Les Garçons de Fengkuei, en passant par Un été chez grand-père, aux plus récents Les Fleurs de Shanghai et Café Lumière Hou Hsiao-hsien est considéré par ses pairs, en Asie et en Europe comme l'un des grands cinéastes contemporains. Edward Yang, de son côté, réalise A Brighter Summer day et Yi yi, distribué en Europe mais qui ne sera jamais distribué à Taiwan. Il leur faut donc chercher des financements au Japon et en Europe. Face (Visage), le dernier film de Tsai Ming-Liang, a été produit par la France et la Belgique, tout comme The Hole (Arte). Ang Lee, cinéaste taïwanais vivant aux Etats-Unis, a fait produire Lust, Caution par la Chine pop et les Etats-Unis.
Célébrer cent ans, cette année, de cinéma à Hong Kong (premier film de Li Minwei en 1909) est surréaliste. Nicolas Vinoy dans L'identité « flottante » du cinéma hongkongais nous parle de cette crise que traverse un cinéma qui, dans les années 1990, plaçait Hong Kong au troisième rang mondial du cinéma après l'Inde et les Etats-Unis. De trois cents films tournés dans les années fastes, Hong Kong est tombé, en 2008, à 47 films.
Est-ce dû seulement au trauma de la rétrocession du territoire à la République populaire de Chine, le 1er juillet 1977 ? Wong Kar-wai répond : « Quelque chose semble s'être cassé depuis, comme si le cinéma hongkongais avait perdu son âme ».
Hong Kong, « petite enclave de 1,096 km2, grande comme le département du Val-d'Oise fut, pendant près de 40 ans, la capitale du cinéma d'Extrême-Orient. Elle le doit, en grande partie, à sa situation géopolitique inédite », nous explique Vinoy.
Face au monde des Mandarins du Nord, Hong Kong a été l'empire de la culture populaire et de la langue cantonaise du sud. Entre la propagande du continent et celle du Kuomitang à Taiwan, l'enclave britannique a développé un cinéma flamboyant pendant quarante ans.
En 1960, l'avènement de la show Brothers porte le cinéma sur des comédies musicales, des mélodrames et les films de sabre aux chorégraphies aériennes devenus célèbres dans le monde entier. Bruce Lee avec Golden Harvest lance le film de Karaté via l'immense diaspora des Chinatown du monde entier. Les années 80 consacre un cinéma de réalisateurs qui apparaît à travers les films de Tsui Hark, John Woo, Fruit Chan, Stanley Kwan et de Wong Kar-wai. Sa consécration internationale au milieu des années 90, coïncide, comme le fait remarquer Nicolas Vinoy à la chute du cinéma made in Hong Kong.
« La peur de la rétrocession de Hong Kong à la Chine trouve ses origines dans les événements de la place Tien'anmen à Beijing en 1989. La révolte estudiantine violemment réprimée par l'armée chinoise préfigure alors, pour beaucoup, le scénario à venir pour Hong Kong ».
Bel article de Bérénice Reynaud : La pulsion documentaire dans le nouveau cinéma chinois (1990-2008). Un artisanat moins surveillé, travaillant en équipe légère et avec un coût de tournage allégé.
Quel est l'avenir du cinéma chinois dans les trois territoires ? Le cinéma d'auteur y trouvera-t-il sa place face aux superproductions americano-chinoises ? On vous laisse découvrir le dao chinois, entre le ying et le yang que vous propose la revue.
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Ce superbe film n'est pas seulement, par son sujet, proche de Tous en scène de Vincente Minelli ou de La Nuit américaine de François Truffaut, mais aussi un prélude à In the mood for love de Wong Kar-wai. Center Stage est disponible en version DVD in Studio-Canal.
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Remake, en cantonais, de Tsui Hark, L'Auberge du dragon, in Hong Kong video.
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Monde chinois, n°17, Regards sur les cinémas chinois, éditions Choiseul, 28, rue Etienne Marcel, 75002 Paris.