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Rencontre à la Maison des Auteurs

Publié le 12/12/2019 par David Hainaut / Catégorie: Dossier

Vers des réalisateurs belges "ambassadeurs" et créatifs pour mieux promouvoir leurs films

 

"Faut-il penser à la sortie de son film avant de le tourner ?" : tel était le titre d'une conférence qui s'est déroulée ce lundi 9 décembre à Bruxelles, dont le contenu s'est révélé être à la hauteur de l'accroche. Une rencontre orchestrée par deux associations professionnelles belges francophones proactives (celle des réalisateurs, l'ARRF, et celle des scénaristes, l'ASA), ainsi que par l'une des principales sociétés des auteurs chez nous, la SACD. Compte-rendu.

On le sait, avec près de cinq cent films sortant chaque année sur les écrans belges, la durée de vie de nombre d'entre eux, à moins de l'un ou l'autre miracle, reste souvent brève. Pour les films belges francophones y compris, malgré la densité de la production nationale. C'est l'une des raisons pour lesquelles trois associations - d'auteurs, de scénaristes et de réalisateurs – se sont fédérées pour organiser dans la capitale, plus exactement à la Maison européenne des Auteurs des Autrices (la MEDAAA, ouverte depuis l'an dernier), une rencontre de près de deux heures au titre évocateur, intitulée Faut-il penser à la sortie de son film avant de le tourner ? Un rendez-vous qui, sans surprise, a fait salle comble, réunissant plusieurs dizaines d'acteurs du secteur : des cinéastes surtout, mais aussi des auteurs, des communicants, des représentants d'organes (Centre du Cinéma, Magritte, Screen Brussels...) et quelques producteurs. Modéré par un binôme formé par Xavier Vairé (vice-président de l'ASA, auteur de Lucas etc, Unité 42...) et Gabriel Vanderpas (vice-président de la SACD, administrateur de la SACD), il s'articulait autour de deux invités centraux, en l'occurrence Gudrun Burie, l'une des principales attachées de presse du Royaume (The Broken Circle Breakdown, Girl, Au nom de la terre...), et Thomas Verkaeren, pion majeur chez l'incontournable distributeur O'Brother (Illégal, À perdre la raison, Le Grand Bain...), après en avoir été un chez Cinéart, où il a eu charge des sorties comme Le Pianiste ou Le Seigneur des Anneaux. Entre autres.

 

Ce cinéma belge en mutation...

Avant d'entrer dans le vif du sujet, les modérateurs ont ouvert le débat en revenant sur la dernière étude d'attractivité du cinéma belge francophone, publiée en juin par le Centre du Cinéma, où l'on constatait que François Damiens, les Frères Dardenne, Benoît Poelvoorde, Bouli Lanners, Jaco Van Dormael ou Cécile de France restaient, encore et toujours, les noms les plus plébiscités par le public du sud du pays, en marge désormais, des connaissances de celui-ci pour les titres des séries (La Trêve, Ennemi Public, Unité 42...). "Mais derrière, c'est à peu près tout", commenteront-ils. De quoi, comme souvent, susciter de nombreuses et vives réactions dans l'auditoire où, ça et là, on a (ré)entendu des choses comme : "Le modèle à suivre est la Flandre, avec son industrie qui s'est créée il y a 30 ans", "Il y a un manque d'intérêt de la part des chaînes télévisées belges francophones (RTBF, RTL-TVi) envers ses propres films", voire "La fierté flamande VS le trop-peu d'enthousiasme francophone" ou encore, "Il y a manque cruel d'écrans dans notre pays". Alors qu'un intervenant se questionnait sur cette difficulté à propager la "belgitude" du cinéma actuel, face au domaine musical citant les exemples d'Angèle, Damso, Alice on the Roof, Roméo Elvis...

Tenant lui aussi à prendre le micro, le réalisateur expérimenté Manu Poutte (Une douce révolte) se demandait s'il ne fallait pas "Faire revenir plus d'argent du Tax-Shelter dédié aux productions étrangères vers les créateurs belges", mais Verkaeren faisait bien de rappeler : "Les choses sont progressivement en train d'évoluer côté francophone où, dans le public, il subsiste encore énormément de préjugés liés au poids de l'image du cinéma des Dardenne. On peut les adorer et admirer leur cinéma, tout en sachant dresser ce constat". Des propos renchéris par Burie "Le cinéma francophone devrait continuer à varier les genres, en axant plus de films vers le grand public" et complétés par Vanderpas : "Les talents belges actuels francophones ne sont pas moins nombreux qu'ailleurs, mais leur mise en valeur reste un travail de longue haleine, qui s'étale sur plusieurs années".

 

"L'idéal est de parler du film dès son tournage !"

(Thomas Verkaeren, O'Brother)

 

Ce n'est qu'au terme de cette longue première partie, légèrement hors-propos, un peu touffue mais non-dénuée d'intérêt, que la question du jour a finalement été abordée : celle – en gros - de l'important travail en amont nécessaire avant la sortie d'un film. Si dans des cas d'un film nommé aux Oscars comme The Broken Circle Breakdown (Alabama Monroe), issue d'une pièce de théâtre à succès en Flandre, ou Girl, qui a bénéficié d'un thème mondialement en vogue (la transidentité) et de plusieurs prix au Festival de Cannes, le parcours en salles s'est vu forcément facilité, Burie, - flamande d'origine - revenait sur son récent travail sur Cléo (avec Yolande Moreau), premier long-métrage d'Eva Cools. "Pour promouvoir au mieux son film, la production (Lunanime) m'a demandé de discuter avec la réalisatrice, pour qu'on puisse avoir des histoires attractives à raconter autour du film, tant pour la presse que pour le public". L'attachée de presse dira même plus tard : "En fait, les écoles de cinéma devraient presque proposer des cours de marketing aux réalisateurs, car apprendre à gérer sa promotion est presque aussi essentiel que faire un film". Verkaeren, collaborant régulièrement avec elle, acquiesçant : "Nous, chez O'Brother, on vient de prendre le film Jumbo (NDLR: la première signature de Zoe Wittock, qui vient tout juste d'être sélectionné au prestigieux festival de Sundance), qui sortira en mars. Nous avons donc plusieurs mois pour peaufiner cette sortie. Mais je dis toujours qu'il est préférable qu'un film fasse parler de lui avant-même qu'il n'arrive chez nous, distributeurs. Dès le tournage est même l'idéal je dirais, en prenant des photos de plateaux, en songeant à l'affiche, etc..."

 

De l'importance des réseaux sociaux

Et si un film comme Girl, pourtant considéré comme film d'auteur, a pu accomplir un joli chemin en salles (plus de 200 000 entrées en Belgique), le comportement du réalisateur reste capital. "Bien avant la sortie, son réalisateur Lukas Dhont a démontré être un excellent ambassadeur du film", indique Burie. "Et tant mieux pour celui-ci, car son budget n'était jamais que d'1,6 million d'euros, ce qui ne lui garantissait qu'une promotion limitée. Mais Lukas était présent absolument partout (avant-premières, presse, radios, réseaux sociaux télés...) en parvenant à être toujours créatif et original dans tout ce qu'il communiquait. Mais ces aspects-là fonctionnent aussi quand on cultive un peu de fierté. C'est sans doute une mentalité qui manque encore côté francophone où, curieusement, on ne compte presque pas d'influenceurs dans le paysage." L'accent a d'ailleurs plusieurs fois été mis sur les réseaux sociaux. Selon Verkaeren : "C'est un outil précieux et relativement peu coûteux, sur lequel il faut naturellement être très présent. Tant le réalisateur que nous-même. Ce qu'il y a de passionnant avec un film, c'est qu'il y a chaque fois quelque chose de nouveau à vendre. Voyez ma collègue, elle est devenue une spécialiste du monde agricole en s'occupant plusieurs mois d'Au nom de la terre, une férue des transgenres grâce à Girl, etc... C'est intéressant d'aller chercher le public en tablant sur un thème bien précis. Et ça reste important d'avoir une stratégie. Pour son film Tueurs, si François Troukens a bien sûr profité de sa petite notoriété acquise en animant une émission sur RTL, il a lui aussi été très actif sur les réseaux pour progressivement tisser sa toile. Et je crois par ailleurs qu'il faut arrêter de trop réfléchir sur la bonne date de sortie, même si on sait qu'on tombera en face d'un Star Wars qui fera peut-être 600 000 spectateurs. Nous visons en général d'autres publics. Et je rappelle que nous sommes 11 millions d'habitants : ce qui laisse un potentiel de 10,4 millions autres personnes !", glissait le distributeur, non sans une petite pointe d'humour...

 

Des formations pour les réalisateurs ?

Constructive, la dernière ligne droite a tenté de dégager quelques pistes pour l'avenir. Vanderpas posait ainsi la question suivante à ses invités : "Comment pensez-vous qu'il soit possible de renforcer les liens entre auteurs, réalisateurs et attachés de presse ?". Ce à quoi rétorquait Verkaeren : "Justement, par ce genre de moment-ci ! Recevoir des centaines de mails comme c'est sûrement le cas de chacun dans cette salle, c'est une chose, mais les rencontres physiques sont primordiales. C'est pour cela qu'on doit continuer à en créer, comme ça se fait aux Magritte ou ailleurs. Tout en renforçant les liens entre trois mondes quasi parallèles : les auteurs qui font leur film, les producteurs qui cherchent à boucler leur budget, et les distributeurs qui sont là pour faire bouger les gens. Cette communication transversale serait, je crois, à développer !"

Des rencontres qui pourraient aussi se décliner en formations de quelques jours pour apprendre à mieux pitcher ou vendre son film : "Comme cela en existe par exemple en Suisse", ajoutait Vanderpas. À peine évoquée, l'idée a d'ailleurs suscité l'intervention remarquée d'un représentant du Pilen (une plateforme associative faisant des formations numériques pour aider les professionnels du livre), qui proposait de la transposer aux réalisateurs belges, afin qu'ils puissent mieux activer leurs réseaux. Une éventualité qui semblait enchanter nombre d'entre eux, un peu égarés autour de ce sujet pourtant primordial. Promis: si la chose se matérialise un jour, nous y reviendrons...

 

Crédit Photos / Sébastien Petit & Roch Tran