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Rencontre avec Anaël Snoek, nommée à la 9e Cérémonie des Magritte du cinéma.

Publié le 24/01/2019 par David Hainaut / Catégorie: Entrevue

"Je ne sais pas si ce métier est plus difficile qu'un autre, tous ont leurs complications."

Présenté en compétition au Festival de Venise et considéré comme le film de l'année 2018 par nos collègues français des Cahiers du Cinéma, Les Garçons Sauvages a permis à cette comédienne native de Liège d'être nommée aux prochains Magritte, dans la catégorie du Meilleur Espoir Féminin. Aux côtés de ses consœurs Bérénice Baoo (Tueurs), Lena Girard Voss (Nos Batailles), Myriem Akheddiou (Une part d'ombre) et Nawell Madani (C'est tout pour moi).

Rencontre, à son domicile bruxellois, avec cette actrice atypique dans notre paysage, qui a la particularité de se partager entre notre plat pays et l'Espagne. Là où cette ancienne lauréate du Prix de la Critique du Meilleur Espoir Féminin en théâtre accomplit une belle carrière sur les planches. Au cinéma, elle sera cette année à l'affiche du prochain film de Fabrice Du Welz, Adoration. Entre autres.

Cinergie : Quelle a été votre réaction, en apprenant cette première nomination aux Magritte ?
Anaël Snoek: Je me suis d'abord dit que cela ferait plaisir à ma maman et ma marraine (rire). Et au-delà de ça, j'ai été surprise, parce que Les Garçons Sauvages, c'est quand même un film très underground et «art et essai», qui en Belgique a eu une sortie assez confidentielle. Il est allé au Festival de Gand et il a reçu le Grand Prix de la Compétition Européenne du BRIFF, mais au cinéma, je pense qu’il n’est sorti qu'au Cinéma Nova de Bruxelles et à la Sauvenière à Liège...

C. : Comment avez-vous été happée par ces Garçons Sauvages ?
A.S. : Bêtement, sur casting. Kris Portier de Bellair m’a proposé de passer un essai à Paris. Mais je ne sais pas du tout comment elle en est arrivée à m’appeler moi. Parce qu’on ne se connaissait pas du tout et, à ce moment là, je n’avais quasi aucun contact avec des gens du cinéma français. Donc c’était très bizarre qu’une directrice de casting reconnue, qui travaille sur les films de Michael Haneke m'appelle. Surtout qu'au moment du casting, je vivais dans une petite maison en pierre, au fin fond d'un bois en Espagne (sourire). Puis, avec le réalisateur Bertrand Mandico, on a répété à Paris avant de partir pour l'Île de La Réunion, où se tournaient tous les extérieurs du film. On était cinq filles pour jouer ce groupe de garçons. Et je crois que c'est le hasard, mais chacune d'entre nous avait déjà interprété un personnage de l'autre sexe par le passé. Ce qui a facilité les choses j'imagine…

C. : Un rôle d'homme qui vous a particulièrement réjoui, avez-vous déjà avoué...
A.S. : Bah oui, en tant que fille, c'est très amusant à faire. Ce n'est pas du tout le même genre de pression et les attentes ne sont pas les mêmes. Vous pouvez vous lever le matin sans vous préoccuper de votre tronche ni avoir à y mettre cinquante kilos de maquillage pour être considérée comme acceptable ! Bref, vous avez le sentiment d'avoir le droit d'être juste qui vous êtes sans devoir vous justifier de tout. Et ça, c'est vraiment agréable…

C. : Être comédienne au cinéma, cela reste donc compliqué ?
A.S. : C'est compliqué d'être acteur en général je crois. À moins d'avoir la chance de chopper un gros rôle dans un grand film en commençant à 16 ans. Et encore, même pour ceux qui débutent tôt, ça peut être intense à vivre psychologiquement. Après, je ne sais pas si ce métier est plus difficile qu'un autre, tous ont leurs complications. Pour les filles, il faut savoir vivre avec des clichés persistants : on nous demande d’être soit sexy, soit maternelle, soit moche et rigolote. La gamme de rôles pour une femme reste beaucoup moins grande que pour un homme…

C. : Certaines choses, à ce niveau, ne sont-elles pas en train d'évoluer ?
A.S. : J'imagine, oui, que ça bouge un peu. Mais il y a encore du travail. Quand un premier rôle est féminin, souvent, il n'y a que des hommes autour, ou si vous avez deux femmes qui parlent dans une scène, c'est la plupart du temps... d'un mec! Et c'est valable pour les grosses comédies, les films commerciaux et populaires. Prenez un film comme Bridesmaids (NDLR: Mes Meilleures Amies), il reprend des actrices en vogue et douées pour la comédie, mais le film ne parle que de mariage, de robes, etc... Bon après, j'ai conscience moi de ne rentrer dans aucune case : je n'ai pas l'air maternelle, sexy ou drôle (sic!). Donc, ce qu'on me propose ne se trouve pas dans la «petite boîte à rôles» habituelle!

C. : Vous pouvez considérer cela comme un atout, non ?
A.S. : Oui plutôt. J’ai moins de travail que si j’étais l’incarnation du fantasme masculin, mais ça me plaît bien de ne pas devoir affronter ce que plein de copines actrices vivent. Comme jouer la jolie copine sexy de machin-bidule, faire juste « Ahahah t’es trop drôle mon chéri » , et puis au revoir et merci !

C: Vous vous partagez entre Bruxelles, la France et l'Espagne. Pourquoi ce troisième pays-là ?
A.S. : Oh, parce que j'y ai vécu pendant quelques années (sourire). Mais je n’y travaillais pas. C'est en fait quand je suis partie d'Espagne qu’on m’a proposé du travail là-bas. Malgré que mon espagnol était quasi inexistant à l'époque et que j’ai appris phonétiquement mon premier casting en galicien, ils m’ont quand même proposé un des rôles principaux dans une adaptation du Songe d'une nuit d’été de Shakespeare au Théâtre National de Madrid. Ils sont gentils avec moi, les Espagnols (sourire). En février, je commencerai une autre pièce à Barcelone dans un festival de théâtre contemporain important. Et puis au printemps on m’a proposé un rôle principal dans un long-métrage, qui se tournera sur la côte Altantique de l’Espagne.

C: Et en Belgique, on vous verra aussi dans Adoration, le prochain film de Fabrice Du Welz...
A.S. : Oui. J’ai rencontré Fabrice il y a quelques mois dans l'émission Home Cinéma, qu'il anime sur Be TV. Il faisait un sujet sur Les Garçons Sauvages, qu'il avait bien aimé. Et puis à la fin du programme, il m'a proposé un petit rôle dans son film. Un chouette petit rôle que j'aimais beaucoup. Mais peu de temps avant le début du tournage, il m'a rappelée pour me proposer un personnage plus important. La mère du héros.

C: La suite, comment l'envisageriez-vous ?
A.S. : Je ne sais pas. Il y a tellement de choses qui ne sont pas entre mes mains. Certains collègues aiment se fixer des objectifs et toujours foncer, mais ça, ça ne fonctionne pas pour moi. C'est simple, quand je planifie quelque chose, c'est foutu ! En général avec moi, pour qu'il se passe quelque chose, il faut que je fasse le deuil de tout ce qui m'entoure. C'est souvent quand je me mets à lire un livre assise à côté de mon chien qu'on m'appelle pour un rôle (rire)...

 

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