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Rencontre avec Ioan Kaes, Conseiller chez PlayRight, la société belge de gestion collective des droits des artistes-interprètes.

Publié le 14/08/2018 par David Hainaut et Tom Sohet / Catégorie: Entrevue

Les comédiens belges ont aussi leurs droits

En Belgique, quand un scénariste ou un réalisateur crée une œuvre (film, série, téléfilm...), il perçoit des droits d'auteurs. Les comédiens et les producteurs, eux, touchent ce qu'on appelle des droits voisins. Moins connus mais tout aussi essentiels, ceux-ci sont gérés dans notre pays par la société PlayRight, basée à Bruxelles.

Cet organe, créé en 1974 par un groupe d'artistes soucieux de faire valoir leurs droits comme exécutants, compte aujourd'hui plus de 13 000 affiliés. Ioan Kaes, leur conseiller, évoque son fonctionnement.

Cinergie: Si votre société est largement quadragénaire, sa notoriété semble grandir. Pourquoi, aujourd'hui ?
Ioan Kaes : Un changement de nom en 2010 peut-être, le résultat du travail de beaucoup de gens sûrement, mais surtout, la mise en place d'un système digital avec une plateforme automatisée, moderne et simple pour les artistes et comédiens qui bénéficient de ces droits voisins. En quelques années, nous avons fait évoluer notre façon de travailler, facilitée par les moyens de communication actuels, simplifiant tout.

C. : PlayRight se doit d'être connu pour tous les artistes et les comédiens belges ?
I.K. : Certainement, puisqu'on gère gratuitement des droits de rémunérations qu'un artiste ne peut gérer lui-même. Je sais que certains nous perçoivent de façon abstraite comme «société de gestion collective», mais on peut nous comparer à la SABAM, que tout le monde connaît ou à l'ADAMI, pour les comédiens français (NDLR: tout comédien peut s'inscrire dans plusieurs sociétés). En Belgique, la licence légale nous a été octroyée pour gérer les droits, actuellement, de 13.500 membres. En marge de cela, nous faisons partie d'un réseau international qui nous permet d'échanger avec des pays du monde entier, de la Corée du Sud aux Pays-Bas, en passant par le Royaume-Uni, la France, le Japon, le Canada ou l'Amérique du Sud. Soit un demi-million d'artistes !

C. : Si les droits d'auteurs sont connus, on connaît moins ces droits voisins. Cette distinction mérite peut-être un rappel.
I.K. : En fait, les droits d'auteurs sont attribués au créateur d'une œuvre, à savoir le scénariste ou le réalisateur. Alors que les droits voisins sont destinés tant aux artistes-interprètes qu'aux producteurs, soit ceux qui permettent de rendre une œuvre exploitable. Un scénario, on peut le vendre comme un livre, pas une œuvre audiovisuelle ! Pour le rendre «audiovisuel», on aura besoin d'artistes qui prestent un rôle et de producteurs qui gèrent le financement, d'où cette protection qui existe. Un droit d'auteur est donné à une personne, à la vie de cette personne et est protégé 70 ans à partir de son décès. Pour le droit voisin, cette protection est de 50 ans à partir du rôle d'un comédien et de la finalisation de l'œuvre par le producteur.

C. : Playright compte entre 60 et 65% de comédiens flamands, 30 et 35 % de francophones. Il y aurait donc un potentiel d'acteurs du sud du pays à encore aller chercher ?
I.K. : Oui, mais depuis que nous avons modifié en profondeur notre système, cela nous a permis de mieux répartir et donc de redistribuer les droits : le bouche à oreille marche bien, surtout du côté francophone où le secteur audiovisuel local tend à se développer. Des artistes ou comédiens ne nous connaissant pas ou voyant mal notre utilité, se sont alors inscrits en nombre. Un chiffre qui grimpe de manière exponentielle, jusqu'à 1200 par an. Mais on devrait atteindre un seuil, puisqu'en toute logique, chaque artiste concerné par ces droits sera à un moment donné... inscrit !

C. : Concrètement, pour un comédien non encore affilié, comment cela se passe-t-il?
I.K. : C'est simple. Il se rend sur notre site, où il s'inscrit en quelques étapes. Une fois enregistré, le comédien déclare toutes ses prestations, ses participations et ses rôles dans une œuvre (film, série, téléfilm...). Celles-ci intègrent alors notre répertoire, qui inclut les diverses diffusions (en télé, en festival, etc...) de sorte à ce que nous identifions chaque œuvre en relation avec le public qu'on touche en Belgique. C'est à partir de là qu'on lui cédera un montant.

C. : Au bout d'une année, si un comédien a son nom au générique de 3 films et de 2 téléfilms, il pourrait donc déjà percevoir des droits?
I.K. : Si le film a fait partie d'une exploitation publique dans l'année-même, oui. Mais vu que nous collectons des sommes forfaitaires via les utilisateurs et les consommateurs de l'œuvre, ce n'est qu'en fin d'année qu'on a connaissance de la somme totale, et l'année suivante que se déroule la distribution. C'est pour cela qu'il est bon de tout déclarer, même un film tourné il y a trente ans. Car il est toujours susceptible d'être rediffusé.

C. : Votre société distribuant ces droits voisins en Belgique, on peut donc trouver étrange que certains comédiens ne vous connaissent pas et ne soient pas encore inscrits !
I.K. : Oui (sourire). Soit parce qu'ils ne savent pas, soit parce qu'ils n'y croient pas. C'est justement notre mission de les convaincre et leur expliquer que nous ne faisons pas ce travail pour un petit cercle, mais pour tout le monde, vu notre licence légale. Il ne s'agit pas toujours de gros montants, mais ceux-ci peuvent être intéressants, même s'ils sont en décalage avec la réalité, puisque la répartition des droits se fait par année : un comédien peut donc toucher plus d'argent une année moins dense pour lui, et gagner moins en cas d'année à succès. Le conseil que je donnerais aux artistes, qu'ils soient comédiens, danseurs ou musiciens (…), c'est de prendre juste un peu de temps pour bien s'informer. Le jeu en vaut la chandelle.

C. : Vous semblez soucieux, à titre personnel, de défendre les artistes. Parce que vous êtes vous-même musicien en parallèle?
I.K. : Bah, je dirais que chacun fait son travail ! Nous existons pour soulager les artistes des tâches administratives et les défendre à tout niveau, pour qu'ils ne s'occupent pas de ça et puissent garder leur énergie et leur temps pour l'artistique. De nos jours, on parle beaucoup d'artistes-entrepreneurs, mais je ne suis pas pour cette manière de penser. Laissons les artistes être... des artistes !