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Richard Miller, ministre de l'Audiovisuel

Publié le 01/05/2002 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Philosophe de formation et cinéphile de vocation, Richard Miller, Ministre de l'Audiovisuel de la Communauté française, a, dès son entrée en fonction, saisi les problèmes du secteur à bras le corps : la diffusion du cinéma de notre communauté à la RTBF, le tax-shelter - ce serpent de mer qu'on nous promettait depuis quinze ans, enfin en passe d'être voté -, l'exception culturelle comme rhizome de la diversité culturelle européenne lors de la présidence belge de l'Union Européenne, la création confirmée d'un troisième collège pour les cinéastes. Enfin et surtout, un projet passionnant et ambitieux : la création d'une télévision européenne consacrée au cinéma, fruit du constat que le public n'a pas accès à plus de la moitié des films européens produits. Ce lecteur de Gilles Deleuze en partage l'humour : au-dessus de sa tête, dans son bureau ministériel où il nous reçoit, une affiche encadrée de M le maudit, le célèbre film de Fritz Lang.

L'humour de la chose : à la RTBF, ses déclarations intempestives (dans le sens philosophique et pratique du terme) sur le rôle et la place de la culture dans une télévision de service public l'ont fait surnommer "M" ! Inutile de vous dire que nous en profitons pour le photographier à côté de photos de Peter Lorre qui incarne M à l'écran.

Richard Miller, ministre de l'Audiovisuel

Cinergie : Monsieur le Ministre, où en est-on avec ce ballon d'oxygène qu'est le tax-shelter et que la profession attend depuis longtemps ?
Richard Miller : Il y a encore une étape à franchir mais on peut considérer que le projet de défiscalisation a accompli des pas de géants puisque d'une part le Ministre des Finances, monsieur Reynders, a réussi à faire adopter par le gouvernement fédéral une somme qui permet de mettre en œuvre ce système. Concrètement, il est déjà inscrit dans le budget 2002 du gouvernement. Parallèlement à cela, Le sénateur Philippe Monfils a déposé un projet de loi qui a déjà été adopté en première partie au Sénat et qui est maintenant à la Chambre. Le gouvernement va pouvoir déposer les amendements contenus dans le projet de Monsieur Reynders et lorsque ceux-ci seront déposés - c'est la dernière formalité à accomplir -, le texte devra être adopté par le Parlement. Je pense que la loi sera adoptée avant le début des vacances d'été. Le système du tax-shelter sera alors légalement inscrit en droit fiscal et les communautés pourront se mettre d'accord pour travailler ensemble. 

C. : N'y a-t-il pas une carence de la diffusion et de la promotion de notre cinéma par rapport à la richesse d'une production que le public ignore complètement puisqu'elle reste du domaine de l'invisible ?
R. M. : C'est un peu le cas de la plupart des cinémas européens. Pour ces pays, la difficulté est partout la même, c'est-à-dire une présence massive des Américains avec des moyens de promotion qui leur permet d'attirer le public, même vers des mauvais films ! Je ne dis pas que l'ensemble du cinéma américain n'est pas bon, mais le problème est qu'à partir du moment où il règne sur tous les circuits de distributions et dispose de tous les moyens de promotion importants, il interdit de fait au public européen d'aller voir d'autres types de films. La France se défend assez bien avec environ 50% de films américains et français, mais c'est quasiment le seul exemple en Europe. Les Allemands voient peu de films allemands, ils ne voient pratiquement pas de films italiens ou espagnols. En Belgique, on en est à 80% de films américains et 20% de films européens, avec une forte présence de la France. Inutile de souligner que le pourcentage de films belges vu par des Belges est infime. La presse grand public n'en parle pas, ou très peu. Il faut que les journalistes aient à a cœur de défendre un film belge. Sinon, comme tout organe de presse, ils se préoccupent de leur public. Si leur lectorat préfère aller voir des films américains, il est clair qu'ils vont parler des films américains.
Quant aux grands réseaux de distributions, ils sont envahis par les films américains. Les salles d'art et d'essai sont malheureusement trop peu nombreuses et trop pauvres en Communauté française. La formule"art et essai "est déjà une formule qui rebute, a priori, le grand public. Ce qui est curieux, c'est que lorsque le public voit un film belge, il apprécie le film et celui-ci est ressenti positivement. Si vous prenez par exemple le film Au-delà de Gibraltar voilà un film qui nous parle de problèmes de chez nous, dans lesquels nous pouvons nous retrouver. Le public se trouvera beaucoup plus dans ce film que dans une production américaine qui véhicule des clichés, des images qui ne sont pas les nôtres. Un film doit faire rêver, il y a beaucoup de films américains qui apportent des émotions aux gens. C'est pourquoi il n'est pas question d'avoir une identité fermée et dire : "En Communauté française, ou en Belgique, il ne faut voir que des films de la Communauté française". Mais il faut essayer de permettre au public d'avoir accès à nos films. Il faut trouver un système d'informations pour leur en donner l'envie, le désir.
Alors, il y a des initiatives comme la vôtre avec votre webzine mensuel, il y a aussi des quotas prévus à la télévision pour diffuser nos créations.

 

C. : C'est ce qui vous a donné l'idée de créer une chaîne de télévision consacrée à la diffusion du cinéma européen ?
R. M. : C'est exact. C'est pour cette raison que nous travaillons actuellement à un projet de chaîne de télévision consacrée uniquement au cinéma européen, pour permettre au public de découvrir les films réalisés dans les différents pays de l'Union. Les 4 et 5 mai prochain vont se tenir à Bruxelles deux journées de travail intensif uniquement consacrées à ce problème, qui réuniront des experts européens de télé et de cinéma. J'ai eu des contacts à travers la présidence belge de l'Union européenne et c'est pendant cette période qu'est née ma conviction de la nécessité d'une telle chaîne. Le mode de fonctionnement de l'Union est lourd : il faut présenter un texte de base, avec des propositions qui doivent être longuement débattues avant d'arriver à un compromis qui satisfasse l'ensemble des quinze pays membres. Nous avons fait ce travail et nous avons abouti à une bonne résolution et à des bons documents au niveau de la présidence belge. Donc, je n'ai pas entamé la présidence belge avec l'idée d'une telle chaîne : ce n'est qu'en fin de présidence que je me suis dit qu'une des réponses à tous les problèmes dont nous n'avions pas cessé de débattre et que nous n'avons pas cessé de mettre sur la table, une des solutions me semblait être une chaîne de télévision consacrée au cinéma européen. J'en ai parlé à madame Viviane Reding, commissaire européen, qui a marqué son intérêt, et qui m'a dit : "Lorsque vous aurez des résultats du travail que vous avez mis en chantier, venez me retrouver et je vous aiderai. "On a beaucoup de pistes, il faut maintenant arrêter un projet, réunir les chaînes publiques, ou aller trouver des chaînes privées pour voir dans quelle mesure elles sont intéressées. L'important étant de susciter l'intérêt du public pour les films européens. D'autant, et vous le savez comme moi, que les échéances sont proches, il faut tenir compte de l'entrée des pays en voie d'adhésion. Là, tout le marché audiovisuel est aux mains des Américains. L'image est devenue un tel foyer d'acculturation, d'identification culturelle et de dialogue entre les populations, que si l'Europe ne s'en occupe pas, elle va perdre totalement son assise de base, sa diversité culturelle. C'est pourquoi je pense que cette chaîne peut être bénéfique.

 

C. : Que pensez-vous d'un support comme le DVD pour diffuser le cinéma ? Notamment le cinéma belge du siècle dernier ?
R. M. : Le DVD est un support qui redonne une nouvelle vie aux films. Le cinéma qui ratera cette espèce de nouvelle vie que le DVD lui apporte va être définitivement mis hors de la création. Je crois qu'on va aller vers des systèmes de distribution, y compris dans les salles, y compris à la télévision, de films numérisés. L'objectif à atteindre, c'est la numérisation des films afin de pouvoir les diffuser. Les premiers appareils de diffusion numérique apparaissent dans les salles de cinéma. J'en ai vu fonctionner au Studio l'Equipe, à Bruxelles. À l'heure actuelle, les salles sont encore équipées en 35mm, il y a encore ce rempart. Le jour où les appareils de projection seront devenus des appareils de diffusion numérique, il n'y a plus rien qui empêche, à partir d'un point du monde, à partir de studios équipés par satellite, d'envoyer vers toutes les salles de cinéma, sur tous les continents, tel type de programme. Aux États-Unis, les infrastructures sont déjà prêtes avec un bâtiment, un lieu de diffusion, un envoi de signal par continent. C'est un véritable combat culturel, politique et économique. Le cinéma qui ne sera pas numérisé va être complètement "out".
Il y a une nouvelle vie du cinéma français sur DVD, les vieux films ressortent et sont achetés par le public en quelques semaines. La mémoire du cinéma revient. Il faut en profiter. Si on n'essaie pas maintenant de dégager des moyens financiers pour éditer notre cinéma sur DVD, nous allons rater une occasion unique de le remettre dans le mouvement.
J'ai un projet avec la Cinémathèque Royale pour publier en DVD une première série de films belges : Henri Storck, Joris Ivens, André Delvaux,… Le problème est un problème de droits. J'ai rencontré André Delvaux, nous en avons parlé, il ne sait plus exactement qui possède les droits de ses films et si les droits tels qu'ils ont été acquis lui interdisent de passer sur un autre support. Mais, il est clair, que c'est maintenant qu'on doit vraiment agir dans ce domaine.