Riffs pour Melville, sous la direction de Jacques Déniel et Pierre Gabaston
Melville for ever
Ce livre jazzy s'intitule Riffs pour Melville, sous la direction de Jacques Déniel et Pierre Gabaston chez – devinez, sans perdre votre Cup of tea, please. Gallimuche ? Lafontaine ? Non point. Allez, on vous le dit : Yellow now - côté cinéma, of course. Avec un titre pynchonien, genre « les Riffs de Thelonious Monk » dans Contre-jour. Oui, oui sauf que c'est Melville Jean-Pierre, le cinéaste, et non Herman, l'écrivain américain, auteur de Moby Dick.
Le Samouraï est devenu le générique de tout un pan du cinéma asiatique. Le personnage solitaire, les identités pulvérisées, la manière de Jean-Pierre Melville de mélanger le classicisme et la modernité, mais aussi et surtout de refuser les alternatives (le bien ou le mal) pour la zone grise de la vie. Tout cela est devenu «la matrice de centaines de films asiatiques». En Asie, «les cinéastes parlent tous de Melville». La zone grise, donc, de l'un à l'autre, et non la dualité de l'un ou l'autre comme dans l'Armée des ombres – autre chef-d'oeuvre de Melville – où il nous montre des résistants qui se comportent comme des truands, et deux frères qui ignorent qu'ils font partie du même camp. Cela et bien d'autres choses nous sont contées dans des entretiens, par Alain Corneau, Jean Douchet et Rui Nogueira (à qui nous devons des entretiens incontournables avec Melville : Le cinéma selon Melville, éd. Seghers).
Et des riffs, autrement dit, de courtes phrases (mélodiques, si on part de l'origine du mot jazzy : «rythmic figure») dans de courts textes à partir de treize films de Jean-Pierre Melville. Chacun des vingt auteurs part d'une ou plusieurs séquences pour montrer, expliquer, les films du réalisateur du Cercle rouge. Une façon inusitée de parler d'un cinéaste qui rend ce livre passionnant.
Lisons et approchons deux riffs.
Celui de Jean-Baptiste Thoret nous plonge dans l'enfance. Thoret passe le DVD, Le Cercle rouge, à sa fille de huit ans qui regarde, fascinée, les 140 minutes sans se lasser. Surprise. D'où sa réflexion sur une lecture de JPM s'articulant sur deux lectures : l'inaction des adultes et l'ivresse de l'action de l'enfant. Celui-ci est dans la puissance, dans le tout accessible jusqu'à la découverte que la toute-puissance se termine toujours dans la tragédie. « Le carton final de l'Armée des ombres nous apprend que les occupants de la voiture que l'ont veut quitter sont morts ».
Celui de Marcos Uzal intitulé : Trop, tard, trop tard. Il nous parle du silence et du regard des acteurs : « C'est par les regards que la fatalité devient mélancolie » (…) et à travers eux, « un doute, un frémissement, un vacillement de l'âme aura, ne serait-ce qu'un instant, suspendu la fatalité pour nous suggérer que, peut-être, quelque chose d'autre que la mort aurait pu advenir. »
Riffs pour Melville, sous la direction de Jacques Déniel et Pierre Gabaston, éditions Yellow Now.