Le premier film de Patrice Toye racontait les aventures amoureuses et imaginaires d’une petite fille coincée dans une réalité pas très glorieuse. Quelques années plus tard, la réalisatrice flamande tourne son second film pour le cinéma, l’histoire d’un homme qui quitte tout pour recommencer sa vie à zéro sur une île ensoleillée. Rencontre dans le parc de Laeken, moins exotique et bien moins ensoleillé.
Rituel de printemps de Patrice Toye
Nous ne sommes pas vraiment aux Caraïbes, et pas non plus au printemps ! Il fait un temps de chien à Bruxelles, le ciel est chargé de pluie, il y a beaucoup de vent et, comme disent les Belges, « il fait caillant ». Au bout des Acacias blancs, le long des Trembles, dans le parc désert de Laeken, tous enrobés de doudounes et autres imperméables, les membres de l’équipe de Rituel de Printemps, le nouveau film de Patrice Toye, n’ont pas l’air de craindre les foudres du ciel. Est-ce parce qu’ils reviennent tous des Caraïbes, de l’île de Barbuda où ils ont tourné pendant deux semaines ? Plutôt calmes et tranquilles en tout cas, une dizaine de personnes s’affairent en haut d’une bute, à côté d’un banc où, seul à trembloter, frigorifié dans un survêtement gris et un peu élimé, Frank Vercruyssen se prête à la mise en place de la scène qu’on va tournée.
Plutôt célèbre chez les Flamands, ce comédien, venu du théâtre, a commencé à jouer au cinéma dans Daens de Stinj Coninx, avant de s’aventurer deux fois chez Frank Van Passel pour Manneken Pis puis Villa des Roses, de traîner sa silhouette dégingandée chez Tom Barman et sa fragilité dans le beau film de Nanouk Leopold, Guernsey. Derrière la caméra qu’on est en train d’installer sur quelques rails, Sara De Roo a troqué ses talons pour les bottes de la pêche aux moules. De toute manière, si elle donne la réplique à son partenaire, on ne la verra pas à l’image. Couple à l’écran dans les rôles de Tomas et Sara, les deux comédiens se connaissent bien puisque tous deux viennent de STAN, cette coopérative anversoise d’acteurs révoltés, et étaient déjà frère et soeur dans Rosie le premier film de Patrice Toye.
Rosie racontait l’histoire d’une jeune fille de treize ans qui, dans une famille pleine de secrets, de mensonges et de misères humaines, s’inventait un amoureux pour échapper à cette foutue réalité. Ce film, qui date de 1999, était - tenez vous bien !- le premier film tourné en Flandre par une femme. Patrice Toye le déplorait. Et déplorait également avoir mis tant de temps à le réaliser. Ce second long métrage pour le cinéma lui aura aussi demandé quelques années. Mais cette fois, elle sourit : « Je suis devenue maman, j’ai deux enfants. J’ai travaillé, j’ai fait un long métrage pour la télévision. Et puis, cela me prend beaucoup de temps. Je n’ai pas quelque chose à raconter tous les jours. J’espère toujours pouvoir faire plus, mais arriver à faire bien ce que tu fais est beaucoup plus important. »
Le scénario du film, qui a reçu le prestigieux NHK Award du Festival de Sundance en 2006, a été coécrit avec le Norvégien Bjorn Olaf Johannessen : « une histoire déjà assez extraordinaire. J’étais dans une formation professionnelle où l’on t’apprend à améliorer ton scénario. Lui, c’était un ingénieur. Il avait juste écrit quelque chose pour le théâtre et il avait gagné un prix. Il avait envie d’écrire pour le cinéma. Tous les deux, nous nous sommes senti un peu différents des autres qui étaient là en train de faire, disons, du cinéma plutôt américain. J’aimais beaucoup ce sur quoi il travaillait, et vice-versa. Nous nous sommes mis à écrire, et je pensais qu’une fois qu’il serait en Norvège, on arrêterait de travailler ensemble. Mais en fait, pas du tout ! Nous avons échangé beaucoup d’emails, il a pris beaucoup d’avions très cheep d’Oslo pour venir ici, et on a travaillé comme ça pendant deux années. Et cela marche très bien, je crois. Lui, il est très rationnel, il a un humour très sec, froid, assez cynique, que j’aime beaucoup. Et moi, je maîtrise mieux l’écriture du cinéma. »
Les scènes qu’on tourne aujourd’hui seront vite en boîte. Au milieu du parc désert, sous un arbre, Frank Vercryussen est assis sur son banc, l’air fatigué. Sara De Roo s’approche et reste hors champ, juste derrière la caméra. Quand il la voit, il se lève, lui parle, s’avance. Mais elle s’en va. Devant lui, la caméra fait un léger travelling arrière tout en le cadrant de près. De temps en temps, au moment de réclamer le silence juste avant la prise, tout le monde s’immobilise et attend : quand ce n’est pas un avion vrombissant qui passe, c’est une lointaine et insistante sirène de police. Quatre prises seulement, et le plan est en boîte. Energique, en tenue de combat (jean, doudoune et baskets), Patrice Toye a l’air aussi détendue que son équipe. Elle se tient en face de son acteur, tout à côté de la caméra. Elle ne jette pas un œil au combo qu’on a installé dans une tente un peu plus loin. Et pas non plus à l’œilleton de la caméra que dirige le chef opérateur, son compagnon à la ville, Richard Van Ossterhout, qui signait aussi la photographie de son film précédent. Quelques minutes plus tard, plus loin, montée sur un trépied et sur des caisses, la caméra capte le contrechamp en légère plongée. Plan d’ensemble et profondeur de champ cette fois. Lui, refait les mêmes gestes, mais il est maintenant dos à la caméra. Sara, elle, entre dans l’image, s’arrête, puis fait demi-tour et s’en va. La caméra continue de tourner tandis qu’il reste seul à fixer au loin celle qui n’est déjà plus dans le champ. Une prise.
Lorsqu’on lui demande à quel moment se situe la scène à laquelle on vient d’assister, la jeune femme sourit : « En fait, non, vous ne pouvez pas savoir ! Parce qu’on raconte déjà une partie du film que je ne veux pas que le spectateur connaisse ». Et l’histoire du film alors ? « Je peux en parler, mais un tout petit peu seulement, parce que je veux que les gens viennent voir ce qui se passe. Mais je peux vous dire que c’est l’histoire d’un homme de quarante ans qui a une vie un peu comme tout le monde, une bonne vie, un bon travail, une belle maison, une bonne femme. Mais il s’ennuie. Il rêve de commencer une autre vie, et je crois, soyons honnêtes, que c’est le cas d’à peu près tout le monde. Mais lui le prépare, et un jour, il va mettre en scène sa mort. Puis il disparaît pour commencer une autre vie ailleurs. Mais assez vite, il a honte de ce qu’il a fait, et il ne désire plus rien que de revenir à sa vie. Mais c’est très difficile de revenir quand on est mort. Pour le reste, il faut attendre le film et voir ce qui se passe. »
C’est là qu’intervient le premier assistant réalisateur, celui qui joue toujours les méchants sur les plateaux de tournages. Wouter Severijn, en l’occurrence, me lance des gros yeux et réclame la présence de la réalisatrice. C’est qu’entre temps, on a apporté un fagot de branches vertes et un autre de branches mortes qu’on va disperser en bas du tilleul qui fait face au banc. On pose une échelle, un membre de l’équipe monte dans l’arbre et fait semblant de couper quelques branches. De nouveau, la caméra se met en place. L’un des comédiens met sa tenue de jardinier et s’apprête à grimper. Wouter, finalement, permet une dernière petite question, « mais petite ! ».
Lorsqu’on lui fait remarquer que Rituel de printemps semble articuler un thème proche de celui de Rosie, celui du rêve et de l’évasion hors du réel, Patrice Toye répond : « C’est vrai, c’est un peu similaire. Mais l’histoire est beaucoup plus adulte. C’est un homme de quarante ans. Ce qui se passe, les réactions des autres, tout est très différent. Mais oui, peut-être que cela m’attire les gens qui vivent dans leur tête et ont envie de créer leurs propres réalités.» Et contente, elle conclut par un « Mon français était ok ! ». On s’excuse confusément de ne pas parler le flamand. Elle s’en fiche. Elle est déjà loin. Et ça retourne, dans la même ambiance calme, décontractée et concentrée.
À l’écart, on a attendu un peu l’homme au blouson noir, le producteur du film, Vincent Tavier. On nous confirme qu’il devait venir mais point de grande silhouette massive et désinvolte au loin. Philippe Kauffmann est déjà passé pendant que nous cherchions le chemin dans les allées de Laeken. Réjouissante alliance : Rituel de printemps est tourné par une réalisatrice, des comédiens et une équipe flamande mais il est produit par les Bruxellois francophones de La Parti Production. L’esprit indépendant et un peu rock’n roll qu’on a senti flotter chez Patrice Toye doit trouver des échos et autres connivences chez ses producteurs qui comptent aussi Bart Van Langendonck, de Savage Film, producteur notamment des films de Wim Vandekeybus. Et le compositeur du film n’est autre que John Parish, le producteur, entre autres, de PJ Harvey, qui signait déjà la B.O de Rosie.
Avec un budget de près de 2 millions d’euros, cinq autres coproducteurs (les Anversois de Roma Film, les Luxembourgeois de Tarantula, les Néerlandais de Circe Films et les Norvégiens de Friland), l’appui des fonds nationaux (VAF, le Centre du Cinéma, Nederlands Films Fonds et Nordisk Fond), le Français Funny Balloon aux commandes des ventes du film aux distributeurs nationaux, dont Kinepolis Film pour le plat pays, trois pays différents de tournage avec le Grand Duché, le second long métrage de Patrice Toye semble avoir pris le large. On devrait le retrouver fin 2008 sur les écrans.