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Salut Cousin! de Merzak Allouache

Publié le 01/12/1996 par Philippe Simon / Catégorie: Critique

Bonjour Babel-Oued Paris

La situation étant ce qu'elle est en Algérie, Merzak Allouache vit en France et tourne à Paris. Mais chez lui, pas de volonté de faire superficiellement français ou européen, pas d'emballage-cadeau calibré pour l'exportation.
"Exporté", Allouache l'est déjà et c'est depuis cette situation particulière, renforcée par l'exil, n'oubliant ni ses racines ni l'ambiguïté de sa condition présente, qu'il va porter un regard sur ce que vivre à Paris implique quand on vient d'Algérie. Cinéma de l'exil, cinéma de l'intégration. Son dernier film Salut cousin! se construit exactement à la césure de la schizophrénie qu'implique tout déracinement.

Salut Cousin! de Merzak Allouache

Sous le couvert de la comédie, d'une apparence de légèreté, Allouache développe une réflexion plutôt grinçante sur le sort de l'étranger en mal d'assimilation, cet être biface et déchiré, dont les deux personnages principaux du film apparaissent comme l'incarnation un rien schématique mais heureusement teintée d'humour. Moc, algérien de la deuxième génération, intégré, plutôt out que in, à la zone des branchés bellevillois, héberge pour quelques jours son cousin Alilo, frais débarqué d'Alger, et venu à Paris pour récupérer une valise.

 

Magouille et bizness, tout irait bien si Alilo n'avait perdu l'adresse de son correspondant. Et le voilà qui s'installe dans la vie de Mok, partageant ses délires et ses déboires, découvrant au fil des rencontres que derrière la liberté de dire et de faire dont jouissent les Parisiens, le rêve ici aussi se conjugue au cauchemar. Car le Paris de Salut cousin! tient tout entier dans cette crise de société où l'être humain est voué à l'horreur banale de l'exclusion ordinaire.
Pour dépeindre ce naufrage quotidien, Allouache trouve facilement le ton juste, celui de la dérision rose bonbon saupoudrée d'ironie acidulée. Sans perdre la naïveté de son regard, il conduit son récit avec intelligence au gré des rencontres que les déboires d'Alilo et les problèmes de Mok génèrent.

 

Mais si l'histoire qu'il nous conte tient la route, le propos du film, lui, souffre d'une évolution maladroite. Dès le départ, le point d'ancrage du film est instable. Difficile de s'installer de façon permanente dans l'exil. Difficile de gérer en un dosage parfait trois points de vue différents (Mok, Alilo, Paris) pour en faire surgir un regard unique. Et pourtant, c'est ce que réussit très bien Allouache au début de Salut cousin! Il trouve un rapport dynamique entre les différents ingrédients du film, développe un jeu subtil d'allers-retours entre ses personnages et fait vivre ses situations en un tout cohérent. La problématique du film est adroitement mise en place et les personnages existent, ont de la chair et de la profondeur. 

Cependant, Salut cousin! ne parvient pas à tenir cet équilibre jusqu'au bout. Et quand l'équilibre se rompt, quand Allouache opte pour l'un des éléments au détriment des autres, le film bascule et tombe dans l'anecdotique ou le prêt-à-penser. En privilégiant le regard d'Alilo au détriment de celui de Mok, - celui-ci se voyant alors confiné au rôle de révélateur d'un Paris réduit à faire office de toile de fond,- Allouache abandonne le lieu même de sa comédie, fait dans l'édulcoré et termine son film sur une fin nunuche qui cache mal sa fonction rassurante. Paris sera toujours Paris et l'amour, le baume souverain pour nos coeurs éplorés. N'empêche, cela mis à part, Salut cousin! charrie des choses fortes, ne laisse jamais indifférent et surprend là où d'habitude un certain cinéma commercial ronronne et nous endort. Car par-delà l'ordre des passeports et le règne des nationalismes, Salut cousin! nous rappelle que dans le métissage de nos rencontres et la mixité de nos désirs, d'autres identités s'inventent comme se forgent d'autres solidarités. Et cela n'est pas rien, et cela est beaucoup quand on se souvient, lors de l'occupation d'une église, de quels remous Paris fut récemment encore l'objet.

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