Avec sa bouille rondouillarde, son air bonhomme au sourire patelin, son accent bruxellois inimitable, sa démarche caractéristique, Serge Larivière, comédien, a pris place parmi les figures familières de notre cinéma. De celles qu’on est heureux de retrouver au fil des films, et pour qui on éprouve une sympathie presque instinctive, même lorsque le personnage qu’il interprète n’a rien de plaisant. Chose étrange, Cinergie n’avait, jusqu’à présent, jamais pu lui consacrer un gros plan. L’opportunité de combler cette lacune nous est offerte à l’occasion d’une rencontre sur le tournage de Formidable, le long métrage de Dominique Standaert (voir notre numéro précédent). Un entretien assez folklorique qui se déroule en plusieurs étapes : le comédien étant happé par le régisseur pour des mises en place, des répétitions, des prises. Chaque fois, avec beaucoup de gentillesse et de professionnalisme, il revient s’asseoir avec nous pour papoter de façon très détendue sur le film, mais aussi sa carrière, ses rapports avec le cinéma, et le théâtre, qui lui a donné ses premières émotions de comédien, sans oublier la pub qui l’a révélé au plus large public.
Serge Larivière, comédien
On commence par une petite anecdote qui démontre à quel point l’image du personnage est ancrée dans notre imaginaire. Fort de leur présence commune au générique de Hop !, le précédent long métrage de Dominique Standaert, et persuadé de les avoir déjà vu jouer ensemble, je lui fais observer qu’il retrouve à l’occasion de Formidable, non seulement le réalisateur, mais également son partenaire Stéphane De Groodt. Je me fais gentiment reprendre de volée : "Je connais bien Stéphane, mais même si nous figurons tous deux au générique de plusieurs films, nous ne nous sommes jamais rencontrés sur un tournage. À l’exception peut-être d’une pub’, en France, il y a longtemps, nous n’avions jamais tourné ensemble". Honte sur moi ! L’image des deux comédiens, très belges, se donnant la réplique m’avait parue tellement naturelle que j’avais lancé cela sans même me donner la peine de vérifier. Serge Larivière passe gentiment sur l’impair : "J’ai aimé travailler avec Stéphane. Nous formons un duo qui fonctionne bien. On s’amuse beaucoup". Le réalisateur a écrit le scénario de Formidable avec des rôles taillés sur mesure pour Serge et Stéphane, et le comédien reste stupéfait de la précision du cousu main.
" Je pensais qu’il connaissait mon histoire. J’ai travaillé dix ans à la Sabena. Mon personnage est un ancien Sabénien qui, à un moment donné, dit : « J’ai travaillé dans le catering. Je bourrais des sandwichs mous au faux pâté d’Ardennes ». Je l’ai fait. Et d’autres coïncidences encore comme, par exemple, le personnage roule en scooter, tout comme moi dans la vie. Quand Dominique m’a dit qu’il ignorait tous ces détails, j’ai eu du mal à le croire". Quant au film : "C’est un mélange comme je les aime de drame et de comédie. J’aime bien passer d’un registre à l’autre. Les pures comédies, j’ai un peu de mal, et les purs films noirs aussi. Donc c’est tout à fait mon registre. J’aime beaucoup".
Né en 1957, c’est après avoir exercé divers métiers (dont celui d’employé à la Sabena, donc) que Serge Larivière se lance, sur le tard, dans une carrière de comédien de théâtre, à Villers-La-Ville, dans Barrabas, de Michel De Ghelderode. Nous sommes en 1988 et, quelques années plus tard, il quitte définitivement son emploi à la compagnie aérienne belge pour voler de ses propres ailes. C’était il y a quinze ans, et depuis, les expériences s’enchaînent. Au théâtre où restent dans les mémoires ses collaborations avec Beno Besson (Mangeront-ils ?, de Victor Hugo), Charlie Degotte (dont il est de presque toutes les aventures depuis 1996) ou son compère Philippe Blasband.
À la télé, où on le voit dès 1991 dans Carré d’as, de Marc Lobet, dans Les Steenfort, maîtres de l’orge en 1995, ou dans des séries comme Joséphine, Ange Gardien, Quai n°1, Maigret, Crimes en série, ou plus récemment Septième Ciel Belgique. Au ciné, où il alterne courts et longs depuis 1993, sans oublier la pub’ où ses sketches pour la Kriek Belle-Vue depuis 1999 lui valent une vraie notoriété populaire. Une somme d’expériences ("C’est parce que je suis vieux", nous explique-t-il avec son habituel sourire en coin) qui nécessitent des approches très diverses. "Oui, mais au delà de l’évidence que cinéma et théâtre représentent des techniques très différentes, personnellement, j’ai une approche très instinctive de la chose. Je me mets assez naturellement dans la peau d’un personnage. Je n’analyse pas trop et ne cherche pas midi à quatorze heures. Théâtre, cinéma, je ne privilégie rien. Il y a des périodes ou je vais beaucoup travailler au théâtre et où on ne me propose presque rien au cinéma, et d’autres moments où c’est exactement l’inverse. C’est assez cyclique". Que préfère-t-il finalement ? "Je ne vois pas trop cela en termes de préférences. Au théâtre, je prends beaucoup plus de risques. Quand j’ai travaillé avec Beno Besson. C’était le travail du masque, les alexandrins, Victor Hugo. Là, je me suis mis vraiment en danger car ce n’est pas du tout mon registre. C’est un vrai challenge. J’ai aussi collaboré avec Charlie Degotte. Là c’est le théâtre de l’absurde, qui confine au délire. C’est tout autre chose.
Au théâtre, on m’a souvent qualifié d’OVNI, en fait, parce que je fais des choses très différentes et qu’on n’arrive pas à me mettre dans un tiroir. Je ne pense pas avoir vraiment un registre, mais je touche vraiment les extrêmes. De parfaits salauds, des personnages dramatiques, ou alors hyper caricaturaux, hyper drôles. Au cinéma, je fais souvent des personnages tragicomiques, populaires, c’est assez constant. Je n’ai pas l’impression de devoir prendre des risques."
Etonnant quand même cette différence d’approche, non ? "Ce n’est pas les mêmes contraintes économiques. On peut prendre des risques au théâtre, en tous cas en Belgique, parce qu’on monte une pièce avec relativement peu d’argent. Si par malheur on se trompe, les conséquences resteront limitées, tandis qu’au cinéma, les paramètres sont complètement différents. Et au théâtre, je peux davantage me permettre de choisir mes rôles. Au cinéma, je ne suis pas en position pour vraiment faire des choix parce qu’il y a les contraintes économiques. Il faut gagner sa vie. Cela ne veut pas dire qu’au cinéma, il ne m’arrive jamais de faire des choses inattendues. Récemment, j’ai tourné en Afrique du sud, dans Les Deux mondes, un film de Daniel Cohen avec Ben Poelvoorde. Je joue un membre d’une tribu hippie, vendeur de Patchouli et complètement allumé. J’ai fait un flic tabasseur dans Un honnête commerçant, un pédophile, personnage à la Gros dégueulasse, de Reiser, dans Pleure pas Germaine... toutes choses qui sortent de mon ordinaire".
Et comme beaucoup d’acteurs belges, le sympathique Serge Larivière est de plus en plus demandé par le cinéma français. "J’ai la chance d’avoir un très bon agent à Paris, tous les espoirs sont permis de ce côté-là. Mon film précédent, je l’ai tourné en France avec Samuel Benchetrit : J’ai toujours voulu être un gangster. C’est un casting magnifique où on retrouve Jean Rochefort, Laurent Terzieff, Anna Karina, Anna Mouglalis, Edouard Baer… Avec Bouli Lanners, on fait un duo de chômeurs banlieusards et même si on se situe davantage dans le registre de la pure comédie, c’est très chouette. Mon prochain film sera aussi une production 100 % française. C’est celui de Michel Houellebecq : une adaptation de son roman La possibilité d’une île. J’y interprète un belge en vacances en Espagne. Mais pas une caricature hein ! On démarre en mai. Pour Houellebecq, c’est une première réalisation. Je l’ai rencontré deux fois et il est très intéressant, brillantissime. Un type très sympa, très humain, qui prend le temps de discuter avec ses comédiens. En tous cas, on a le sentiment d’être respecté, écouté. Maintenant, on va voir sur pièces."
Et là-dessus, rappelé par son mentor qu’il surnomme gentiment le corbeau noir, Serge Larivière repart prendre position sur le plateau. Sa vraie place de comédien. The show (must) go on.