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Sur le tournage de Simon Konianski de Micha Wald

Publié le 05/12/2008 par Dimitra Bouras et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Tournage

Après Voleurs de Chevaux, Micha Wald signe son second long métrage, Simon Konianski. Dans cette comédie proche d’Alice et moi, on identifie des conflits générationnels, des oppositions politiques et religieuses, des familles juives et espagnoles, des crises pendant les scènes de repas, de l’hystérie collective et individuelle, des paysages ukrainiens, des comédiens amateurs et professionnels et des petites vengances personnelles. 
Interview.

Cinergie : Pour parler de ton nouveau film, Simon Konianski, il faut évoquer Alice et moi qui en est le point de départ puisqu’il est aussi le portrait de deux générations qui ne se comprennent pas.
Micha Wald : Effectivement, c’est de nouveau un film de famille. Quand je parle de famille, je parle inévitablement de conflits intergénérationnels avec des envies et des visions du monde différentes. Dans ce nouveau film, la différence d’âge est accentuée puisque le personnage principal est âgé d’une quarantaine d’années et son père a 75 ans. Comme dans Alice et moi, ce sont presque deux générations de différence, deux mondes qui s’opposent avec la particularité que chacun a raison dans sa manière de le voir.

C. : Dans Simon Konianski, développes-tu plus le conflit entre Simon et son père ?
M.W. : Tout les oppose. C’est comme dans la vraie vie. Par exemple moi, je suis rarement du même avis que avec ma grand-mère. Tout vient d’une idéologie politique, le moindre sujet de discussion prête à conflits. Toujours dans ma famille, je vois mes parents vieillir, et on est de moins en moins souvent d’accord. C’est pareil avec moi : je vieillis et je ne suis plus d’accord avec ce que peuvent penser ma petite sœur ou mon petit frère, même si j’ai pu penser la même chose à leur âge. À chaque moment de la vie, on a des centres d’intérêts différents et notre manière de penser évolue. De plus, avec l’âge, on a tendance à avoir davantage peur de la vie, à être plus angoissé et avoir plus de difficultés à la gérer. J’essaye de ne pas aller dans cette direction, mais c’est ce que je vois autour de moi. Dans le film, l’opposition principale tourne autour des enfants et de l’éducation : comment les éduquer, que faut-il leur transmettre, etc. Ces problèmes sont toujours traités de manière drôle, parce que ce sont des choses qui me font rire. Ce n’est pas parce que je ne suis pas d’accord avec ma grand-mère que je ne l’aime pas, au contraire ! J’aime discuter avec elle de politique, de la vie, …C’est intéressant d’essayer de comprendre son point de vue et de savoir pourquoi j’ai l’air d’un jeune con quand je dis que le peuple palestinien est opprimé et qu’Israël est un peuple colonisateur. J’essaye de voir comment on peut penser les choses dans le sens inverse en me mettant à la place de l’autre.

C. : Tes personnages ont beau être sans cesse en conflit, ils n’en sont pas moins touchants.
M.W. : Oui, parce que j’aime mes personnages. Même s’ils pensent ou font des choses abjectes, ils gardent un côté humain. Il faut que je les aime un peu pour pouvoir les filmer. Dans le film, il y a deux autres personnages, le vieil oncle et la tante, qui ne sont pas loin d’être racistes, intrusifs et de mauvaise foi, mais ils restent touchants : ce qu’ils disent n’est jamais bien méchant. Je les aime quand même et j’essaye de rendre cette affection à l’écran.

C. : Venons-en maintenant à ton goût pour l’humour au bord de la crise de nerfs qui est dans la même veine que les frères Coen. Y a-t-il encore une scène hystérique lors d’un repas ?
M.W. : (Rires) Oui, il y a encore des scènes de repas. Pendant ces moments, tout le monde se retrouve et il y a des discussions plus ou moins animées. Il y a même une scène où ils n’ont pas le temps de manger tellement cela dégénère ! J’aime l’hystérie, je trouve ça drôle à l’image.

C. : Nous t’avons vu tourner au Parvis de Saint-Gilles avec des comédiens professionnels, comme Jonathan Zaccaï, et de nombreux figurants. Est-ce que cela a été facile de les diriger en parallèle ?
M.W.: Sur le plateau, je n’attendais pas la même chose des deux groupes. Les non professionnels sont choisis parce qu’ils ressemblent aux personnages du film. On attend d’eux qu’ils restent eux-mêmes, pas qu’ils jouent. La scène au Parvis réunit des personnes qui ont entre 70 et 100 ans. Il suffisait de les placer et de leur demander d’être ce qu’ils sont. Ça s’est toujours bien passé : ils étaient heureux d’être là et y prenaient du plaisir. Le plus difficile à gérer sur le plateau fut, en fait, l’énergie. Le tournage a été long et éprouvant. Pour les personnes de 80-85 ans, ce n’était pas toujours facile, et il fallait aussi ménager Jonathan pour qu’il ne s’épuise pas après un mois de tournage. On s’est créé des plages horaires, on faisait des activités diverses, on discutait de tout et de rien pour pouvoir respirer un peu et penser à autre chose. 

C. : Qu’est-ce qui t’as incité à travailler avec Jonathan Zaccaï ?
M.W. : Je cherchais quelqu’un qui me ressemble, quelqu’un qui me permettrait de m’identifier un peu. Il est beaucoup plus expansif et hystérique que moi, et il a apporté une touche encore plus drôle que prévue au personnage. On m’avait prévenu que Jonathan était quelqu’un qui a beaucoup d’humour et qui est tout le temps dans le jeu. Il aime rire et faire rire. Pourtant, quand on voit sa filmographie, ce n’est pas ce qui frappe le plus. Quand je l’ai rencontré, il m’a dit qu’il était sous-exploité par le cinéma français, que quand il tournait, il n’était qu’à 50% de son potentiel, qu’il rêvait de faire de la comédie, quelque chose de plus hystérique. Là, il a pu s’en donner à cœur joie ! En plus, il a la même base familiale que moi. On s’en est servi dans une scène très drôle sur la circoncision. Comme on a tous les deux un petit garçon et qu’on s’est posé des questions qui ont provoqué des conflits dans nos familles respectives, on s’est « vengé » : moi, j’ai rajouté une couche dans la scène, et Jonathan en a remis une par-dessus !

C. : Comme pour Alice et moi, plusieurs personnages sont filmés dans une voiture. Comment ça se passe ce genre de séquence road-movie ?
M.W. : Mal (rires)! Il est très difficile de tourner dans une voiture et d’obtenir ce que l’on veut. Après, ce sont des petites histoires de tournage : la comédienne de 85 ans oublie son texte, le comédien qui campe l’oncle n’entend plus que d’une seule oreille et il faut enclencher un signal lumineux pour le prévenir que c’est à lui de jouer sauf que l’appareil ne fonctionne qu’une fois sur deux, le gamin de 6 ans est un jour plein d’énergie, le lendemain, très fatigué, du coup, Jonathan ne tient plus,… Tout ça sur des routes dégueulasse, sous la pluie... C’était un cauchemar ! Mais c’est ce qu’on a voulu.

C. : Le film est construit en deux parties, l’une en Belgique, l’autre en Ukraine. D’où vient cette attirance pour ce pays ?
M.W. : C’est familial. Ma grand-mère paternelle vient d’un petit village ukrainien appelé L’viv, mon grand-père paternel a grandi au bord de la frontière entre l’Ukraine et la Pologne, à Przemisl. Ce sont mes origines, c’est tout. J’espère qu’un jour, j’aurai envie de tourner ailleurs, dans des endroits plus accueillants et plus simples !

C. : Dans Les Galets et Voleurs de chevaux, la nature était filmée de près. Pour Simon Konianski, t’es-tu intéressé à nouveau aux paysages ?
M.W. : Oui. De toute façon, en Ukraine tout est beau. On peut poser sa caméra n’importe où : tout est « filmogénique ». On fait un bond de 100 ans en arrière, et tout est intéressant à filmer. J’espère que cela va se voir à l’image. On est resté le moins de temps possible en Ukraine, seulement 15 jours, parce que plus on reste là, plus il y a des problèmes. On s’est retrouvé bloqué à la frontière pour rentrer et pour sortir autant de temps que notre séjour sur place ! En Ukraine, c’est compliqué : il n’y a pas de législation, pas d’autorisation à demander, pas de droits à l’image. C’était la première fois qu’un film était tourné à L’viv, les locaux ne savaient même pas ce qui se passait. C’est un pays très corrompu, tout y est difficile, donc on s’est dit qu’on allait essayer de filmer rapidement en cachette et puis de s’en aller. Au final, on est resté bloqué 16 heures à l’aller et 15 heures au retour. Comme autre exemple, il y a celui de Luc Besson qui a tourné là-bas et qui est resté 40 heures à la frontière ou encore celui de Peter Gabriel qui a fait un concert et qui est resté bloqué pendant 3 jours. Plus l’événement est gros, plus on doit payer, on a donc essayé de ne pas se faire remarquer, de ne rien demander à personne et de s’en aller. Les conditions de tournage ont été extrêmement compliquées, mais les images qu’on a ramenées sont très belles.

C. : Pour l’image, tu as travaillé avec Jean-Paul De Zaeytijd et tu as choisi d’utiliser le Scope 35 mm qui n’est pas toujours facile à utiliser quand on tourne en caméra à l’épaule.
M.W. : Oui, mais on n’avait pas trop de soucis au niveau du poids : on tournait avec une petite caméra pas plus grosse qu’une 16 mm, et au niveau des optiques, on travaillait déjà avec des 35 mm. Si je pouvais toujours filmer en Scope 35 mm, je le ferais, même en appartement. Ça permet de mettre plusieurs personnages dans une même scène et de bien intégrer un personnage dans un décor. À l’heure actuelle, le 35mm reste, selon moi, le meilleur format, celui qui donne le meilleur rendu. On a construit une petite Dolby. Pour le film, j’ai essayé de doser entre caméra à l’épaule pour illustrer la nervosité et beaucoup de travelling et de fluidité dans le mouvement de caméra quand l’action se calme.

C. : En général, avant de tourner, tu visionnes avec ton chef op’ d’autres films pour l’inspiration et les références. Pour Simon Konianski, qu’avez-vous regardé ?
M.W. : (Rires) On a regardé The Big Lebowski, Alice et moi, La Famille Tenenbaum et d’autres films de Wes Anderson que je n’aime pas particulièrement, mais qui sont intéressants au niveau des décors, des costumes et des objets.

C. : Tu as toi-même fait très attention aux objets dans Simon Konianski. Toute la famille du personnage principal a notamment des lunettes…
M.W. : Oui, ils en ont tous. On a fait des essais pour voir lesquelles correspondaient le mieux aux personnages. On a mis des grosses lunettes à Jonathan Zaccaï et comme dans le film, il les casse et les répare avec un bout de sparadrap, cela donne une information importante sur sa personnalité, rien qu’en le voyant. Les costumes et accessoires sont toujours très importants, pour cela les frères Coen sont très forts.

C. : Dans ton film, on a l’impression que l’on est constamment au bord de la crise de nerfs…
M.W. : Je dirais plutôt qu’on est dans l’hystérie, mais c’est dans le caractère des personnages. Simon et son ex-femme espagnole se crient dessus, c’est leur façon de communiquer. La famille de Simon en fait des tonnes, celle de son ex n’est pas mieux. L’hystérie est dans les scènes, dans la musique, … Mais je vous rassure : il y a aussi des moments plus calmes !


 

A notre visite sur le plateau, au Parvis de Saint-Gilles, nous avons échangé quelques propos et surtout beaucoup de rires avec Jonathan Zaccaï

Cinergie : Jonathan, te voilà de retour en Belgique…
Jonathan Zaccaï : Cela me fait plaisir de revenir ici. Vous savez, je me sens plus belge que juif. La Belgique est un pays très convivial, les gens se parlent ici, gratuitement. A Paris, c'est impossible.

C. : Dans ce film ton personnage est très proche de ta réalité. Comment le ressens-tu ?
J. Z.
 : C'est pour cela que j’ai hésité avant d’accepter. Comme c'était très proche de moi, bizarrement, je ne me sentais pas le faire. Comme si je m'interdisais quelque chose que je connaissais. Finalement, même si je connais le sujet, ça reste compliqué comme pour un autre film. Après réflexion, c'était un peu évident que je fasse ce film.
J’ai aussi commencé l’écriture d’un film que je voudrais faire plus tard, et qui a des points communs avec Simon Konianski. Jusqu’à maintenant j’avais principalement fait des films très graves, très noirs. Honnêtement, ça me plaît de faire aussi de la comédie.

C. : Peut-on considérer ce film comme une comédie juive?
J. Z. : Je ne sais pas si on peut appeler cela de l'humour juif. Micha est certainement porteur de valeurs relatives à sa famille, du folklore et de la culture azkhénaze. Humour juif ou pas, je crois que les gens vont se marrer parce que quand est en voiture et qu'on voyage, ma tante a la cystite, et elle a envie de pisser tous les quarts d'heures, mon fils, il est hyperactif, il me prend la tête, et mon oncle il croit qu'il est poursuivi par la STASIE ! Finalement, ce genre de personnages qui sont assez « gavants » on les retrouve partout, dans chaque famille. Les mères juives sont stéréotypées et portent l’étendard de la mère possessive, mais toutes les mères sont comme ça. C’est un peu l’histoire universelle des familles, tout le monde s’y retrouve.

C. : Micha Wald n’a pas axé le film que sur le judaïsme, puisqu’il y a différentes cultures qui se côtoient.
J. Z.
 : La mixité est un problème qui reste éternel, vieux comme le monde. Mais on ne peut pas réduire le film à cela; ce n'est pas qu'une histoire de mixité, de couples ou de religions. Les thèmes que tu trouves dans ce genre de film, comme dans les premiers films de Spike Lee, sont les mêmes que ceux qu'il y a dans toutes les familles et toutes les races.

C. : Peut-on savoir en quoi ce personnage est proche de toi ?
J. Z. : Tout simplement parce que les parents de mon personnage tout comme les miens viennent de Pologne. Ce sont des types de personnalités que j'ai côtoyé. Je joue avec des personnes âgées, très fortes et qui me font sourire parce qu'ils me font penser à ma grand-mère. C'est comme quand je joue en Belgique, je me sens plus proche, parce que je reconnais des choses de mon enfance. Ce sont mes origines, comme on dit.

C. : Ton oncle a déjà réalisé des films. Toi tu te sens attiré par la réalisation ou pas du tout ?
J. Z. : Je me sens bien comme acteur, j’adore ça, mais c’est clair que j’ai aussi envie de réaliser. Ce n’est pas du tout pour faire comme mon oncle. J'ai l’envie du cinéma depuis que je suis tout petit, en voyant Pinocchio de Comencini. Oui, j’ai envie de réaliser, et je suis content parce que je vais bientôt pouvoir le faire. J’ai déjà fait des courts métrages, mais là je prépare mon premier long. L’écriture est terminée. Je ne peux pas en dire plus pour l’instant.
La façon dont je vois la suite, c’est que j'ai envie de passer cette charmante vie de manière agréable et de rencontrer un maximum de gens, sans être touriste dans ce que je fais. Je fais du mieux que je peux. Je suis passionné, j'adore le cinéma, j'aime ça. J'ai de plus en plus envie de jouer et de réaliser, de passer de l'un à l'autre.
Par contre, j’espère ne pas devoir jouer dans mon propre film, je voudrais pouvoir rester derrière la camera, m’asseoir sur une chaise, ne rien faire, maltraiter les acteurs et les faire souffrir (rires).

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