Cinergie.be

Soudain, seuls de Thomas Bidegain

Publié le 19/12/2023 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Sur la plage abandonnés

Ben (Gilles Lellouche) et Laura (Mélanie Thierry) font le tour du monde en bateau. Un voyage de la dernière chance pour ce couple en difficulté (il est infidèle, elle est gravement dépressive…) Arrivés près des côtes antarctiques, ils font un détour pour explorer une île déserte, ancien refuge de baleiniers où ces derniers dépeçaient leurs captures dans des entrepôts aujourd’hui en ruines. Passant la nuit sur place à cause des conditions en mer trop difficiles, ils découvrent le lendemain avec effroi que la tempête a emporté leur bateau. Seuls au bout du monde, sans téléphone ni radio, exposés au froid, à la faim, à la peur et livrés aux éléments déchaînés, Ben et Laura devront explorer leur capacité de survie, mais aussi examiner la vérité de leur couple.

Soudain, seuls de Thomas Bidegain

À la panique succède la colère. À la colère succède un maigre espoir. À cet espoir succède le découragement. Et au découragement succèdent la résignation (lui) et le courage (elle). Pour rassurer sa compagne, Ben lui explique que le bateau était muni d’une borne de localisation. Les secours ne devraient donc pas tarder… sans doute 10 jours, grand maximum ! Puis les 10 jours passent, ensuite les semaines... Les conditions climatiques s’aggravent, l’arrivée d’éventuels sauveteurs devient de plus en plus improbable et la nourriture se fait rare (l’occasion d’une scène de chasse au manchot d’une cruauté insupportable). La force physique de Ben et Laura périclite et le désespoir leur donne des idées noires.

 

Tout du long, les reproches fusent. Chacun dit à l’autre ses quatre vérités et prononce des mots très durs, qu’il ne pourra plus effacer. Alors que la mort approche, c’est l’occasion de tout déballer, d’enfin cracher les horreurs que l’on n’osait pas se dire en société. Une opposition fondamentale s’installe entre eux. S’en sortir ensemble est-il encore une priorité ? Se reconstruire est-il encore possible ? Sont-ils « soudain seuls » ou l’étaient-ils déjà des années avant d’entreprendre leur voyage ?

 

Alors que leurs chairs sont à vif, littéralement rongées par le froid (avec des effets spéciaux de maquillage aussi subtils qu’impressionnants), et que le manque de nourriture laisse des traces sur leurs organismes, Ben et Laura vont être forcés de faire des choix violents : rester sur la rive en attendant le passage d’un bateau ou traverser une montagne infinie à pied pour visiter l’autre côté de l’île ? Mourir à deux ou survivre seul(e) ?

 Se retrouver coincé sur une île déserte en compagnie de Mélanie Thierry est donc loin d’être ce que l’auteur de ces lignes aurait pu imaginer… En adaptant très librement le roman d’Isabelle Autissier, Thomas Bidegain signe un survival très éloigné des codes habituels du genre. Ici, personne n’est un héros de film d’aventures. Gilles Lellouche, en particulier, incarne un homme bourru et médiocre, complètement dépassé par la situation, malgré une posture rassurante, un peu « macho ». Mélanie Thierry s’avère, une fois de plus, formidable dans la peau de cette femme paumée, victime de crises d’angoisse régulières, qui va très lentement trouver sa force dans l’adversité. Malgré un dernier acte moins convaincant que le reste du film, l’évolution psychologique et le calvaire physique du couple s’avèrent fascinants à observer tant les deux fonctionnent de manière opposée. Mêlant l’intime et le grand spectacle au sein d’un décor brutal, Soudain, seuls est un voyage douloureux, mais dont la morale finalement positive semble nous dire qu’il n’est JAMAIS trop tard pour changer et pour tenter d’aller de l’avant.

Tout à propos de: