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Tax Shelter, quatre ans d'existence. Le point avec Henry Ingberg.

Publié le 13/07/2007 par Dimitra Bouras et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Dossier

Le mécanisme du Tax Shelter a démarré en 2003. En ce moment même, la Belgique est en négociation avec l’Union européenne pour obtenir cinq années supplémentaires. La Commission européenne a rappelé également qu’il s’agit d’une aide culturelle et non d’une aide économique. Que pensez-vous de ce contexte ?

Henry Ingberg : Le cinéma a une double face ; économique et culturelle, en espérant que c’est l’économique qui vienne au secours du culturel. La Commission européenne a tenu, jusqu’à présent, la culture pour un élément tout à fait accessoire, extérieur aux règles générales du Traité. Actuellement, nous constatons qu’il y a un revirement, une prise en compte de la culture en tant que secteur important en soi, mais également en tant que secteur favorisant le développement. Mais les rapports officiels que nous avons sur le Tax Shelter avec la Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne montrent que c’est quand même toujours une administration à caractère économique qui est l’interlocuteur et non l’administration de l’audiovisuel ni celle de la culture. Pour le moment, nous avons des indications intéressantes mais contradictoires.

C. : Que pensez-vous du jeu des sociétés intermédiaires entre les producteurs de cinéma et le monde de l’entreprise, notamment leur idée de devenir elles-mêmes productrices ?
H. I. : Les auteurs de la loi n’ont pas donné de statut ou d’existence légale aux sociétés intermédiaires. Elles se sont mises en place de fait, pour servir de liens entre les producteurs, branchés essentiellement sur la mise en œuvre de leurs films et la recherche de partenaires financiers. Ces organismes intermédiaires se sont développés avec une incidence très positive ; ils ont permis d’attirer des investisseurs. Il y a quelque 170 sociétés qui investissent dans l’audiovisuel, aussi bien des multinationales et des PME, que des commerçants. Il y a là une série d’indications positives sur la façon dont on a réussi à ce que les investisseurs s'intéressent au cinéma. 

Cela étant, il est juste de rappeler que l’intérêt qui a pu être suscité, c’est d’abord grâce au talent et la notoriété des créateurs et des artistes, des comédiens, des réalisateurs. La réputation du cinéma est d’abord basée là-dessus, pas sur des mécanismes financiers. Avec la pratique, des questions apparaissent : les pourcentages réclamés par les sociétés intermédiaires pour leur intermédiation ne deviennent-ils pas trop importants par rapport à l’argent qui doit être investi directement dans la production ? Certaines sociétés intermédiaires créent leur propre société de production, et donc les investisseurs qu’elles vont chercher vont d’abord servir leurs projets de production. Là aussi il y une préoccupation.

Un autre phénomène qu’il faut souligner aussi, même s’il est moindre dans son impact, c’est que certaines sociétés de production ont créé des filiales d’intermédiation pour ne pas être tributaires d’opérateurs extérieurs. Il faut reconnaître que, quantitativement, le mouvement est moins important, mais il montre qu’effectivement, les frontières bougent et que les uns et les autres prennent des métiers parallèles. Par exemple, la RTBF a créé une société intermédiaire, qui s’appelle avec beaucoup d’humour, Kazak Kafka Pictures. On a annoncé très récemment la création avec la banque ING d’un portefeuille d’investissements, qui, au lieu de prévoir des investissements répartis film par film, production par production, crée une espèce de mutualisation, de répartition sur un ensemble de films, en collaboration avec des producteurs. Il y a une série de phénomènes interpellant, certains qui posent problème, d’autres, au contraire, qui ouvrent des perspectives. Nous sommes manifestement à une période charnière, l’appel d’air a fonctionné, maintenant on aboutit à une phase de maturation des mécanismes en place, avec l’obligation que l’Union européenne puisse avaliser le système en place.

C: L’investissement du Tax Shelter avec la dotation de la Commission de sélection, est-elle pour vous la meilleure formule pour permettre à notre cinéma de se développer ?
H.I.
 : La Commission de sélection disparaîtra d’autant moins que nous sommes devant une certaine combinaison de systèmes. Rappelons que les télévisions et les câblo-distributeurs ont des obligations de production annuelle fixées quantitativement. C’est une autre source qui s’ajoute au budget public voté directement par le Parlement. À ça, on a ajouté le mécanisme de soutien économique wallon de Wallimage et puis s’est ajouté le Tax Shelter. On constate que sur pas mal de projets, on a une espèce de configuration qui regroupe les différentes interventions, et donc qui les conforte mutuellement. Deuxième constat, on a craint, au début, que le Tax Shelter soit réservé à ce qu’on appelle des films commerciaux, en laissant tout à fait sur la touche les films d’auteurs. On s’aperçoit que des films comme Bunker Paradise, par exemple, ont bénéficié du Tax Shelter. Là aussi, c’est une bonne surprise. Parce que c’est justement cette réputation artistique du cinéma belge. Le film d’auteur n’est pas nécessairement antinomique avec un succès public ou commercial.
À mon avis, le problème majeur qui subsiste, c’est Bruxelles, et cette situation, pour essayer de la résumer, provient de ce que nous n’avons pas des politiques de financement parallèles et complémentaires similaires du côté flamand. Les Flamands viennent de renforcer leur budget direct d’aide aux films. Ce qui est une excellente initiative, mais tant que nous ne serons pas d’accord entre les deux communautés, ça veut dire que, Bruxelles, qui relève de l’autorité fédérale, sera toujours dans l’incapacité de demander aux câblo-distributeurs, par exemple, de prendre des mesures spécifiques pour Bruxelles; sauf pour des institutions qui seraient considérées comme étant exclusivement francophones comme Le Palace ou l’Arenberg. En termes de développement d’investissements, nous sommes coincés par la nécessité de trouver un accord. Les discussions sont en cours, nous nous informons mutuellement, nous avons beaucoup de coordination et de collaboration, mais pas de définition de politique commune.

Il faudrait également étendre et généraliser des systèmes qui sont des systèmes de recyclage d’une partie des recettes vers une production et une création originales, ce qui suppose que ce qu’on fait par exemple avec les câblo-distributeurs, on le fasse aussi, par un élément additionnel, aux places de cinéma. Cela fait des années qu’on en parle, mais là aussi nous sommes devant la fameuse question institutionnelle, il faut qu’on soit bien d’accord sur Bruxelles, qui est quand même le premier réservoir de spectateurs cinéma.

Normalement, le dispositif devrait être étendu également aux vidéo-clubs, aux DVD, sachant qu’une réflexion devrait être mise sur les rails et que là, on a, à cause de ce manque de consensus, du retard. La diffusion numérique en ligne prend de plus en plus d’importance. Pour nous, les Français sont un modèle, parce qu'ils ont adapté, au fur et à mesure, leurs mécanismes de recyclage d’une partie des recettes dans la création, ils les ont adaptés aux nouveaux systèmes de diffusion. Nos attentes et nos ambitions sont claires, la difficulté devant laquelle nous sommes, c’est une difficulté de faisabilité politique et institutionnelle.

C. : Que pensez-vous de l’idée de renforcer les institutions publiques qui redistribuent les moyens dans les diverses productions plutôt que de soutenir des systèmes financiers d’aide directe ?
H. I.
 : Je pense qu’il faut faire attention avec les mécanismes publics. Autant je suis un ferme défenseur, un promoteur, des aides à la création, autant je me méfie d’une institution aussi valable, positive, ouverte soit-elle comme l’est la Commission de sélection. Il ne faut jamais oublier qu’un organisme institutionnel peut devenir en même temps un organisme normatif. Il faut reconnaître que dans certains cas, on refuse des films et je n'en comprends pas toujours la raison. Le fait d’avoir plusieurs interlocuteurs évite le monopole décisionnel d’une seule structure.
Le risque, c’est que chacun agisse d’une manière disparate, et là, je le dis d’une manière très ferme à l’égard de mes amis de la production qui disent : « Mais il n’y a aucune coordination ! » Nous avons des concertations permanentes avec le Ministère des Finances, avec la Communauté flamande, avec Wallimage. Le risque d’agir d’une manière contradictoire ou dispersée est compensé par le fait que nous nous informons et nous nous concertons.

C. : Ne craignez-vous pas que le cinéma ne soit envisagé uniquement comme une industrie ?
H. I. : Le capital réel de l’industrie cinématographique, c’est l’originalité de la création. Nos meilleurs succès commerciaux sont aussi nos meilleurs films d’auteurs ! Chez nous, ce sont les auteurs qui portent le cinéma. Moi, j’aimerais bien, sincèrement, comme du côté flamand, qu’on ait aussi, et j’insiste sur le mot aussi (pas "à la place de") des comédies populaires qui changent un peu le rapport que le public a avec le cinéma. Déjà, je trouve que les auteurs et les producteurs ont fait un travail de promotion formidable. Vous savez l’importance que j’attache à lancer la deuxième édition du Prix des Lycéens, pour justement créer le contact avec les jeunes, montrer qu’il n’y a pas de rupture entre une espèce de cinéma savant, et la fréquentation spontanée qu'ils ont.

C’est pour cela que je rappelle toujours que le premier moteur qui aura permis au Tax Shelter de fonctionner, c’est le talent et la réussite des créateurs, des réalisateurs, des producteurs et des comédiens ! Il y a quelque chose de très optimiste et de rassurant ; on a besoin des talents pour que cela fonctionne également économiquement ! Je trouve que c’est une belle formule ! C’est grâce aux talents mis en évidence par les aides publiques qu’on a pu encourager des décideurs économiques, des investisseurs financiers et des responsables de la fiscalité d’investir dans ce secteur. On manque tellement de moyens par rapport au nombre de projets intéressants qu’on reçoit, que je suis très heureux de voir apparaître des mécanismes complémentaires de financement !

 

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