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Trois jours et une vie de Nicolas Boukhrief

Publié le 26/09/2019 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

La Tempête du Siècle 

Olloy, village industriel de l’Ardenne belge, à la veille de Noël. Antoine Courtin, 12 ans, est un écolier comme tant d’autres. Il est amoureux de sa voisine, Emilie, et inséparable du petit Rémy, 6 ans, le frère de cette dernière. Mais une dramatique réaction en chaîne va amener Antoine à commettre l’irréparable. Un jour, il surprend Emilie en train d’embrasser un « grand », juste avant la mort accidentelle d’Ulysse, le chien d’Emilie et Rémy, écrasé par une voiture (celle de Yoann Blanc, dans un second rôle), puis abattu en pleine rue par Michel (Charles Berling), leur père alcoolique. Pris d’une colère noire, Antoine se rend dans la forêt pour pleurer et pour calmer ses nerfs en détruisant sa cabane. Surpris par Rémy, Antoine, ivre de douleur, commet un geste malheureux : il lance un bâton vers le petit garçon et le frappe à la tête. Rémy meurt sur le coup. Paniqué, Antoine déplace le corps de son ami, qu’il cache dans une profonde crevasse.

trois jours et une vieLe village en émoi se met à la recherche du petit garçon. La disparition de Rémy, alors que la récente affaire Dutroux est encore dans les mémoires, met la population à rude épreuve. Chacun se met à soupçonner son voisin et toutes les hypothèses sont envisagées par les autorités : kidnapping, pédophilie, fugue, culpabilité du père ou d’un commerçant polonais forcément louche (puisqu’il est polonais…) Pendant ce temps, Antoine se tait et vit dans la terreur, sa mère (Sandrine Bonnaire) trop absente pour remarquer le changement d’attitude de son fils. Une battue est organisée, à laquelle participent tous les villageois. Mais, alors que les volontaires se rapprochent de l’endroit où gît le cadavre, les recherches sont interrompues pour la nuit, au grand soulagement d’Antoine. Nous sommes en 1999 et cette nuit-là, une tornade dévastatrice surnommée « la tempête du siècle » vient ravager le village, faisant des dizaines de victimes, éventrant de nombreuses maisons et modifiant à jamais le paysage. Dans les années qui suivent, les répercussions économiques et psychologiques font d’Olloy un village fantôme. L’affaire Rémy est mise de côté, « effacée » par cet évènement quasi-surnaturel, la tempête s’apparentant à un boogeyman de film d’horreur qu’Antoine aurait convoqué. Quinze ans plus tard, Antoine, qui a échappé aux recherches et donc à la prison, revient au bercail pour quelques jours. Le jeune homme retrouve Emilie et se rend compte qu’il n’est peut-être pas le seul à connaître son secret. En attendant, une société vient d’acheter la forêt où repose toujours le corps de Rémy et s’apprête à déboiser le périmètre… 

 

Un destin subitement et à jamais brisé par un accident malencontreux, accablé par un lourd secret, c’est ce que racontait le roman de Pierre Lemaitre, qui, un an après l’adaptation très réussie d’Au Revoir, là-haut par Albert Dupontel, retranscrit à nouveau un de ses récits pour le cinéma. A la barre du projet, on retrouve le trop rare Nicolas Boukhrief, spécialiste discret d’un cinéma de genre de qualité (on lui doit les excellents Le Convoyeur, Gardiens de l’Ordre et Made in France), ancien critique de cinéma et rédacteur de la mythique revue Starfix qui, au cours de années 80-90, élevait la cinéphilie alternative au rang d’art.

 

Trois jours et une vie

Filmé dans un Scope renversant de beauté, sublimé par la photographie de Manuel Dacosse, Trois Jours et une vie s’impose autant en thriller intense qu’en drame poignant, multipliant les rebondissements passionnants. Grâce à son fascinant décor, un village vieillot typiquement wallon, qui semble perdu dans le temps et dans le brouillard, au beau milieu d’une forêt profonde, Boukhrief confère à son film un aspect de conte de fées maléfique. Le réalisateur, inspiré par ces banlieues que l’on trouve dans les romans de Stephen King, n’a pas son pareil pour mettre en valeur la topographie des lieux, créer une tension sourde et mettre en scène une galerie de personnages très « chabroliens » : l’agent de police, le médecin de campagne et les notables, qui tous, suspectent certaines choses, mais se gardent bien de partager leurs théories…

 

Avec trois stars françaises (Berling, Bonnaire et Philippe Torreton) dans des rôles secondaires et une touche de belgitude pour faire bonne mesure (Charles Berling adoptant pour l’occasion un accent wallon des plus crédibles), le film dévoile le talent des deux interprètes d’Antoine. Jeremy Senez, 12 ans, campe, pour sa première apparition à l’écran, un garçon traumatisé, rongé par la culpabilité et la peur, devenu presque mutique. Pablo Pauly, à l’âge adulte, campe un charmant manipulateur, ambigu et opportuniste. Toute la vie d’Antoine est façonnée par un évènement de seulement quelques secondes. Antoine est un meurtrier et il le restera toute sa vie. Il doit se construire en oubliant l’accident, mais aussi en évitant d’être confondu. Reste à savoir combien de nouveaux mensonges il devra inventer pour rester en liberté et conserver la confiance de ses proches…

 

Très fidèle au roman dans sa structure, Trois Jours et une vie est un film magnifique sur la transmission (d’un destin) et sur l’identité (être un meurtrier malgré soi), à la facture formelle surprenante. La scène de la tempête à elle seule, aussi traumatisante qu’inoubliable, fera date.

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