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Un coup de Maître de Rémi Bezançon

Publié le 16/08/2023 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

La Vie passionnée de Renzo Nervi

Propriétaire d’une galerie d’art, Arthur Forestier (Vincent Macaigne) représente depuis ses débuts Renzo Nervi (Bouli Lanners), un peintre très coté, mais dépressif et reclus. Les deux hommes sont amis et, même si tout les oppose philosophiquement, l’amour de l’art les réunit toujours. En panne d’inspiration depuis des années, Renzo sombre peu à peu dans une radicalité qui le rend ingérable : conspuant les lois du marché, il saborde toutes les opportunités qui s’offrent à lui dans des provocations autodestructrices, au grand dam d’Arthur, qu’il met régulièrement dans la mouise.

Un coup de Maître de Rémi Bezançon

Renzo est LE dernier grand peintre de génie en activité qui assure lui-même sa propre production. Farouchement indépendant, il déteste le snobisme du monde artistique, en particulier ces parasites que sont les critiques d’art, au point où, lors de sa dernière exposition, il débarque, ivre, avec un revolver et tire sur ses œuvres. Impulsif, il a également tendance à offrir ses tableaux, qui valent de l’or en barre, à des conquêtes d’un soir, par exemple pour la Saint-Valentin. Or, ces frasques risquent de lui valoir une expulsion de sa maison, donc de son atelier. La mort dans l’âme, Arthur, l’ami que tout le monde rêverait d’avoir, trouve une solution : pour éponger ses dettes, Renzo devra réaliser une commande destinée à être accrochée dans le bureau de Dupont-Laval (Philippe Résimont), un grand industriel, patron d’une usine d’OGM, qui représente tout ce que Renzo exècre. Renzo vendra-t-il son âme au diable pour sauver sa peau ? Cette vieille amitié qui, depuis le décès de sa muse, Esther, est la seule chose qui empêche Renzo de se suicider, survivra-t-elle aux mésaventures qui les attendent ?

Pour son septième long métrage, Rémi Bezançon (Le Plus beau jour du reste de ta vie, Nos futurs) signe une comédie douce-amère qui fait le triste constat d’un marché de l’art qui, comme toutes les meilleures choses, semble-t-il, s’est mondialisé : Arthur doit faire des courbettes devant des puissants aussi médiocres qu’arrogants, l’artiste n’est plus considéré que comme un simple employé et tout se négocie en NFT dans la blockchain. Comme la nourriture ou le cinéma, l’art est devenu du fast food, du content pour consommation immédiate, un moyen comme un autre pour les nantis de s’enrichir en faisant de la spéculation sur les tableaux. Le milieu artistique est devenu une farce, le symbole du monde déshumanisé et sans poésie dans lequel nous vivons désormais. Un constat d’une noirceur épouvantable, mais lucide, adouci néanmoins par les portraits attachants de deux personnages à différentes phases d’une rébellion et d’une prise de conscience salvatrices. Les dialogues sont inspirés, le film, inégal, enchaîne les péripéties à une allure digne d’une comédie de Francis Veber et le duo Lanners/Macaigne (qui se reforme quelques années après Chien) fait preuve d’une alchimie indéniable, même quand le discours anticapitaliste tombe dans la facilité, voire la caricature, et que le film accumule les longueurs.

On verra surtout Un coup de maître comme l’autoportrait à peine dissimulé de Bouli Lanners, dont le personnage à l’écran est un « sauvage » fidèle aux convictions humanistes du gentil trublion un peu anar qu’est l’acteur dans la vie. Mal à l’aise en société, devant « les bouffons », capable d’être ému aux larmes par un Modigliani, Renzo, qui considère qu’il est né en 360 après Rembrandt, pense que l’art peut créer sa propre réalité, celle où il choisit de se réfugier. Renzo évolue ainsi entre fanfaronnade et modestie, estimant que la valeur d’un tableau dépend parfois uniquement de la manière dont il est accroché. Dans son vain combat pour la mort du capitalisme occidental et pour la libération de l’art des griffes des nantis, Renzo va disparaître et se perdre avec l’aide d’Arthur pour mieux trouver un nouveau sens à son existence. Au-delà de la virulente charge antimondialisation, Bezançon signe une fable aux valeurs nobles et simples, dans laquelle la simple force de l’amitié peut surmonter tous les obstacles.

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