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Un spécialiste d'Eyal Sivan

Publié le 01/06/1999 par Théo Salina / Catégorie: Critique

Adolf Eichmann - Un spécialiste

Jérusalem, 1961. A la barre, les témoins se suivent. Incompréhension et confusion des sentiments : on juge l'innommable et en dépit des sommations de la cour, le public ne peut par moment réfréner son dégoût, se lève et interpelle l'accusé : dans sa cage de verre, répondant des pires chefs d'accusation, le lieutenant colonel nazi Adolf Eichmann. Le spécialiste des affaires juives et de l'émigration prétendra jusqu'au bout n'avoir été que le pantin du général Müller et du sinistre Himmler : " J'étais adapté à ce travail de bureau dans la section, j'ai fait mon devoir, conformément aux ordres ". Bien sûr, le procès est couru d'avance. Se mordillant mécaniquement les lèvres et tentant avec maladresse de superposer lunettes de vue et de lecture, il le sait. Mais l'oeil reste froid : " Les regrets ne servent à rien ".

Un spécialiste d'Eyal Sivan

L'entêtement du responsable de la déportation de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants, ne peut que soulever l'effroyable question de l'abrutissement des masses, de l'assujettissement et de l'aliénation d'un fonctionnaire a priori ordinaire, par une idéologie aussi radicale que le nazisme. Peut-être Eichmann avait-il réellement besoin de deux paires de lunettes, et s'enfonce dans le ridicule lorsqu'il affirme n'avoir pas été immédiatement au courant des atrocités des camps. Mais comment un homme, au nom d'un serment politique et après avoir pris des notes à Auschwitz, peut-il continuer à signer l'arrêt de mort d'un peuple entier ? 

Une sorte de dédoublement, comme il définira lui-même son attitude, qui fait que l'on passe, bientôt dans sa propre indifférence, entre deux personnalités malades. 

Inspiré du livre de Hannah Arendt Eichmann à Jérusalem, rapport sur la banalité du mal, le documentaire des israéliens Rony Brauman et Eyal Sivan échappe aux règles du genre : dramatisées par le montage et un bruitage qui rappelle souvent le coup de frein final d'un vieux train de marchandises, ces images d'archives, enregistrées en vidéo par Léo Hurwitz et dont la trace fut retrouvée presque par hasard, plongent les spectateurs dans un sentiment de fiction, d'impossible et d'irréel. 

C'est le silence, le mutisme, dans la salle de cinéma comme dans les gradins de l'auditoire. Immobile, seul, Eichmann contre le reste du monde. 

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