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Undergods de Chino Moya

Publié le 05/10/2021 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Le non-sens de la vie 

C’est avec le premier essai ambitieux d’un réalisateur de clips musicaux et de publicités d’origine espagnole que s’est refermée la 14ème édition du festival Offscreen, au cinéma Nova. Co-production internationale entre le Royaume-Uni, la Belgique, l’Estonie, la Serbie et la Suède, tournée à Belgrade, mais aussi en Italie, Undergods est interprété par des acteurs anglais et belges.

 
Undergods de Chino Moya

Dans une ville dystopique en ruines, la société humaine est pratiquement réduite à néant et le paysage est devenu un immense terrain vague surplombé par des tours de béton vétustes, sur le point de s’écrouler. C’est un univers de désolation, froid, sale, gris, où les rares rescapés boivent de l’essence et mangent de la terre pour survivre. Mais survivre pour quoi ?... Au gré de vignettes situées avant ou après l’Apocalypse, nous sommes témoins du chaos qui s’invite dans la vie de protagonistes malheureux, par l’entremise d’invités indésirables qui vont chambouler leur petit confort et les confronter à leur médiocrité. Des portraits peu reluisants d’une poignée de personnages affreux, bêtes et méchants, d’une Humanité repoussante qui a peut-être mérité son sort…  

- K et Z (Johann Myers et Géza Röhrig) sont des éboueurs chargés de ramasser les cadavres jonchant les rues, mais aussi de kidnapper les égarés afin d’en faire des esclaves pour le compte d’une mystérieuse multinationale. 

- Harry (Ned Dennehy, du gang des Peaky Blinders), « l’homme du onzième étage », est un bon vivant qui s’installe dans l’appartement d’un couple qui vit dans le même immeuble que lui, Ron et Ruth (Michael Gould et Hayley Carmichael), sous prétexte qu’il a perdu ses clés. La cohabitation avec le pique-assiette va s’avérer particulièrement éprouvante pour Ron, un individu terne et mortellement ennuyeux. En effet, en séduisant sa femme, en vidant son frigo et en s’accaparant la télécommande, Harry va peu à peu l’évincer. 

- Mr. Halls (Eric Godon), industriel ruiné, refuse une juteuse offre d’association avec un mystérieux gangster (Jan Bijvoets). Son refus provoque une réaction en chaîne : sa fille Maria (Tanya Reynolds), envers laquelle il éprouve des sentiments impurs, est kidnappée et c’est avec l’imbuvable Johann (Tadgh Murphy), l’amant de cette dernière, qu’il doit plonger dans le labyrinthe de la ville pour la retrouver. 

- 398 (Sam Louwyck) est un esclave dans une usine. Connu uniquement sous son numéro de matricule, muet et probablement lobotomisé, il doit ramper pour manger dans sa gamelle, comme des centaines d’autres ! Mais après 15 ans de geôle, 398 gagne la loterie et est renvoyé chez lui, à la grande surprise de son épouse, Rachel (Kate Dickie, la tante dégénérée qui allaitait son fils de 16 ans dans Game of Thrones), qui le croyait mort et qui a refait sa vie. Ce retour inespéré va motiver Rachel à retrouver goût à la vie, notamment grâce à des manuels de développement personnel hautement farfelus. 

- Dom (Adrian Rawlins, le papa de Harry Potter dans la longue saga), enfin, est le nouveau mari de Rachel. Fonctionnaire sans envergure, lâche et jaloux, il voit d’un mauvais œil le retour au bercail de 398, dont la présence éradique totalement la sienne aux yeux de son épouse, qui n’attendait qu’un prétexte pour le mettre à la porte comme un malpropre. Dom est « remplacé » du jour au lendemain, comme si sa pathétique existence n’avait laissé aucune trace au sein de son entourage. Espérant recevoir une promotion au boulot, Dom se rend à la fête d’anniversaire huppée de son ignoble patron, Tim (Burn Gorman, Pacific Rim). Ivre et de très mauvaise humeur, Dom tente de ridiculiser son boss lors d’un karaoké d’anthologie qui tourne au désastre... 

Ces récits interconnectés, à la manière du Sens de la Vie des Monty Python, tragi-comiques et pessimistes à la Beckett, évoquant aussi bien les comédies dépressives de Roy Andersson que la bande dessinée de science-fiction européenne, nous mettent en garde contre les conséquences de la médiocrité, de la lâcheté et de l’apathie qui ont fini par engloutir la planète. Avec de tels comportements, il n’est pas étonnant que l’Humanité ait fini par s’autodétruire…

Mélant science-fiction, surréalisme et humour noir avec des bouts de ficelle, Chino Moya crée un univers visuel (superbes décors) et sonore (un score au synthé entêtant) fascinant et constamment inventif, malgré un budget fort limité. Au terme de la présentation du film au Nova, le jeune réalisateur a d’ailleurs avoué s’être lourdement endetté pour mener le projet à son terme!

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