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Visions de Yann Gozlan

Publié le 11/09/2023 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Les griffes du cauchemar

Tout commence par un cauchemar : Estelle (Diane Kruger) nage dans un océan infesté de méduses, en sort, suit quelqu’un qui l’observait au loin, entre dans une villa à l’abandon au bord de la plage, se blesse au pied en marchant sur des débris de verre avant de se rendre compte qu’elle est épiée à travers un trou dans le mur…

Visions de Yann Gozlan

Pilote de ligne, Estelle mène une vie en apparence parfaite avec Guillaume (Mathieu Kassovitz), son mari, un médecin aimant avec lequel elle tente d’avoir un enfant. Sa vie est réglée comme du papier à musique : tout est calculé quotidiennement dans les moindres détails : calendrier d’ovulation, calories ingérées, kilomètres parcourus au jogging, plans de vol… Tout chez elle fait l’objet d’une précision maniaque, jusqu’au jour où, par hasard, dans un couloir d’aéroport, Estelle retrouve Ana (Maria Nieto), une photographe turbulente avec qui elle a eu une aventure passionnée 20 ans plus tôt. Sur un coup de tête, Estelle se rend chez Ana et découvre que cette dernière vit dans une villa identique à celle de son rêve… Les deux femmes ravivent leur passion et se lancent dans une liaison qu’Estelle tente tant bien que mal de cacher à Guillaume. Mais les intentions d’Ana restent floues et Estelle est loin d’imaginer que leurs retrouvailles vont faire basculer sa vie bien rangée dans l’irrationnel et la peur… 

Depuis Captifs (2010), en passant par Un Homme Idéal (2015) et Boîte noire (2021), Yann Gozlan a acquis une réputation de nouveau maître du thriller à la française, s’étant habilement faufilé dans un créneau laissé vacant par le départ de Clouzot puis de Chabrol : scénarios ludiques à la mécanique implacable, cruauté jubilatoire à plonger des protagonistes ordinaires dans des situations inextricables... Grande nouveauté chez le cinéaste, le fantastique s’immisce cette fois dans le récit, via des séquences oniriques qui plongent Estelle dans un grand désarroi. Si Visions emprunte des chemins connus (l’adultère et ses mensonges, la culpabilité suivie de la paranoïa – Guillaume serait-il au courant et chercherait-il à se venger ? -, l’apparition d’un cadavre, l’éclatement de tous les repères, un twist final à la Shyamalan…), il reste longtemps délibérément vague sur la nature de la menace qui plane sur son héroïne qui, une fois l’adultère consommé, commence à souffrir de pertes de mémoire et ne distingue plus ses visions de la réalité. 

Gozlan dédie un long chapitre à la déliquescence de la santé mentale d’Estelle : ses hallucinations se multiplient sans qu’elle arrive à leur donner un sens : méduse pourrissant sur la plage, chien famélique qui la fixe d’un regard noir, et toujours cet œil inconnu à travers le mur qui la terrifie… Sa paranoïa vis-à-vis de Guillaume va en grandissant et sa vie professionnelle en pâtit irrémédiablement. De toutes les scènes, Diane Kruger, actrice à la carrière en dents de scie, réussit à nous rendre attachante une femme rigide et infidèle. Mathieu Kassovitz, quant à lui, joue admirablement de son côté débonnaire qui, dans ce cadre, lui confère automatiquement une aura menaçante.  

Correctement fabriqué à défaut d’être le plus inspiré des films de Gozlan, Visions reste un tantinet trop sage, manquant de l’audace nécessaire pour prétendre atteindre le niveau d’un thriller mental extravagant à la De Palma, façon Pulsions, Body Double ou L’Esprit de Cain. S’il est un film auquel Visions peut être comparé, pour sa description minutieuse de l’évolution d’une paranoïa, ce serait Apparences (What Lies Beneath), de Robert Zemeckis, dans lequel Harrison Ford restait impuissant face aux hallucinations de son épouse (Michelle Pfeiffer). Mais si Visions est une réussite en demi-teinte, il atteste néanmoins une fois de plus des ambitions de son réalisateur de faire honneur à un genre populaire. Gozlan ne réinvente aucune formule, mais s’acquitte de son cahier des charges avec un professionnalisme admirable.   

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