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Wolfkin de Jacques Molitor

Publié le 20/01/2024 par Benjamin Sablain / Catégorie: Critique

Déjà réalisateur de Mommijong en 2014, Jacques Molitor revient en 2022 avec Wolfkin (connu aussi sous le titre en luxembourgeois Kommunioun), un film de loup-garou mêlant horreur, malaise diffus, histoire de famille et récit sur une vieille aristocratie décadente cachant de glaçants secrets derrière une propreté toute de façade.

Wolfkin de Jacques Molitor

Martin a dix ans. Il n’a jamais connu son père, mystérieusement disparu juste après avoir découvert sa compagne enceinte. Toutefois, Martin n’est pas un enfant comme les autres, puisqu’il a la fâcheuse tendance à croquer dans les bras de ses camarades de classe. Sa mère, Elaine (incarnée par Louise Manteau) décide alors de changer les idées de son fils en l’emmenant à la rencontre de ses grands-parents paternels luxembourgeois, habitant un luxueux château dans les bois. Cependant, un malaise diffus s’installe puisqu’il se révèle bien vite que la famille du père de Martin cherche à faire de lui l’un des leurs de façon peu orthodoxe.

Le pitch est ainsi à première vue alléchant (sans mauvais jeu de mots) : une mère célibataire, une mystérieuse famille aux mœurs étranges plongeant dans l’ambiance d’un de ces nombreux films d’horreur psychologique autour de sociétés secrètes, du loup-garou, un rythme empruntant autant au film de genre qu’au film d’auteurs et un soupçon de thématique sociale résonnant avec l’actualité européenne. On pourrait même s’écrier avec enthousiasme « chouette ! un nouveau représentant du film de social-garou ! » en pensant au merveilleux film brésilien Les Bonnes Manières de Juliana Rojas et Marco Dutra, dont il est proche sur beaucoup d’aspects, ou au plus lointain Teddy. Malheureusement le rythme est en dents de scie, les personnages sont inégaux, les dialogues ne sont pas toujours intéressants et il y a des soucis pour marier la sobriété de la vie quotidienne et l’exubérance de scènes fantastiques. Il s’en sort néanmoins très bien lorsqu’il s’agit d’enchaîner les actions de façon captivante, de les magnifier à travers des séquences mises en scène avec finesse et développer subtilement les idées singulières, pour habiller intelligemment ses scènes de touches symboliques, et vaut largement le détour pour son héroïne brute de décrochage révélant une vraie profondeur.

Mais peu de personnages peuvent vraiment s’épanouir et exister, écrasés par une multiplication d’intrigues qui n’en finissent pas de dissiper l’impact du film. Il semble alors porté à bouts de bras par Louise Manteau, seule à finalement bénéficier d’un rôle offrant des moments de respiration. Elle joue une mère entière, complexe, singulière et intrigante au point de donner envie de découvrir davantage son histoire et qu’elle balaye d’un revers de main cette galerie de personnages mécaniques pour déployer toute sa vitalité. A force de vouloir accomplir trop de choses en trop peu de temps, Wolfkin ne s’égarerait-il pas au lieu d’accomplir la Kommunioun avec son public ?

Toutefois il regorge d’excellentes idées qui le font perdurer dans la mémoire et tempérer l’importance de ces défauts. Bien plus qu’un film qui s’égare, Wolfkin souffre de sa trop grande générosité. Il trouve en effet un angle offrant une bouffée d’air frais au genre et même apporte des éléments que ni Teddy ni Les Bonnes Manières n’ont envisagé. Le personnage de la mère, déjà largement évoqué, en est un exemple : à la fois très franche et impulsive et dotée d’une certaine pudeur, elle reflète son propre fils en se présentant de cette façon comme une louve à « éduquer » au même titre que ce dernier. Elle se prolonge en mentionnant la revisitation intéressante de la métamorphose du loup-garou, le traitement très poétique et subtil de la relation père-fils, le développement de l’intrigue conduisant à une conclusion aussi inattendue que belle, ainsi que d’autres précédemment mentionnés. Wolfkin reste donc un film très interpellant par bien des aspects, au point de se demander si finalement ce statut de film cabossé ne lui donne pas un certain charme… et bien sûr de donner envie de surveiller les prochains projets du réalisateur.

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