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Zillion de Robin Pront

Publié le 26/10/2022 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Le Sens de la Fête

Anvers. Frank Verstraeten (l’excellent Jonas Vermeulen), un entrepreneur au flair avéré pour les affaires, a fait fortune en vendant du matériel informatique importé illégalement. A 27 ans à peine, il gagne 6 millions de francs belges par mois… au noir ! Pratiquant la fraude fiscale comme un hobbie, il se retrouve dans le collimateur des enquêteurs de la cellule financière de la police criminelle. Son rêve est d’avoir sa propre discothèque et d’écraser la concurrence. En 1997, ce rêve devient réalité.

Zillion de Robin Pront

Gigantesque boîte de nuit moderne avec piste de danse tournante, spectacles laser, feux d’artifice, strass et paillettes, VIP room avec sexe, alcool et drogue à volonté, le « Zillion » en met plein la vue et devient « the place to be » pour les amateurs de techno et de bling bling, au grand dam du propriétaire du « Carré », son principal concurrent. Frank noue bientôt une alliance avec « Dennis Black Magic » (Matteo Simoni), libidineux roi du porno flamand (avec une fâcheuse prédilection personnelle pour les mineures), afin de s’assurer les services des plus belles prostituées du pays. Lorsqu’il ne crée pas des sociétés fantômes pour blanchir ses millions et viole toutes les règles d’urbanisme imaginables, Frank organise des orgies pour le gratin de la haute société belge, fait chanter des politiciens véreux (que Dennis filme en compagnie de ses « protégées ») ou nargue un enquêteur (Frank Vercruyssen) qui l’a dans le nez. Le succès attisant la jalousie, Frank, de plus en plus impulsif, violent et paranoïaque, ne tarde pas à se faire des ennemis, aussi bien parmi ses employés que ses concurrents, mais aussi parmi ses proches. Sa gloire sera aussi éphémère que sa chute sera lente et douloureuse.  

Une longue (2h20) fresque criminelle inspirée « de faits réels ou inventés » sur des hommes vulgaires et détestables qui vouent un culte au Dieu « Pognon »? Pas de doute, Robin Pront (D’Ardennen) connait son « Petit Scorsese illustré » sur le bout des doigts : on retrouve ici tous les éléments qui ont fait le succès du Loup de Wall Street, de Casino, des Affranchis, mais également du Scarface de Brian De Palma, avec un soupçon de Gatsby le Magnifique (version Baz Luhrmann) pour faire bonne mesure. Tout est clinquant et de mauvais goût, des sommes phénoménales sont jetées par les fenêtres dans des activités d’une étourdissante vacuité, les femmes sont vénales et les hommes des truands qui perdent tout sens de la mesure (ne parlons même pas de sens moral) dès qu’ils atteignent le sommet. Affichant fièrement ses références, Pront signe une œuvre aussi sordide et vulgaire que suprêmement divertissante grâce à la fascination exercée par la personnalité mi-odieuse, mi-touchante de son anti-héros.  

Le film évoque avec humour le complexe d’infériorité de ce dernier : chétif et de petite taille, Frank compense par sa détermination à obtenir tout ce qu’il désire : les plus grosses voitures, la meilleure cocaïne et la plus jolie femme : Vanessa Goossens (Charlotte Timmers), Miss Belgique 1997, qu’il va, en l’épousant, entraîner irrémédiablement dans sa chute. Le cinéaste confère également à son récit une dimension oedipienne particulièrement cruelle via le personnage de Marleen (Barbara Sarafian), la mère de Frank, dont il est l’âme damnée. Complice de son fils lors des premiers délits, Marleen est une femme malade, jalouse et manipulatrice, qui ne soutient son « gamin » que lorsque ça sert ses propres intérêts. 

Portrait très glauque d’une masculinité toxique et irrécupérable, Zillion n’est finalement rien d’autre que l’histoire d’un gâchis : celle d’un jeune homme doué, mais turbulent, qui n’a jamais grandi (il s’habille comme un enfant qui aurait trouvé un gros billet dans la rue) ou appris le sens du mot « honneur ». Par ses choix égoïstes et infantiles, Frank est devenu l’architecte de sa propre destruction, passant du statut (éphémère) de star de la vie nocturne à celui de minable. On savoure sa descente aux enfers comme un plaisir coupable !

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