Je ris, j'eus peur et je pleurai beaucoup
Aussi loin que je me souvienne, je vois mon père passer des après-midi, seul ou avec des copains, à manipuler une petite caméra Paillard 8mm, filmer, couper, coller, sonoriser, visionner cette minuscule pellicule en noir et blanc pour présenter ses films à des concours amateurs. Cela m'intriguait mais je ne pense pas que cela me fascinait. J'avais trois ans, je ne me rendais pas compte de ce qu'il faisait.
Un jour, jugeant sans doute que j'étais prêt à "l'initiation", il m'emmena à la salle du patronage local où, bénévolement, il projetait les jeudis après-midi des films sonores en 16 mm aux séances enfantines. Assis dans le noir sur une table branlante à côté de ce gros projecteur qui faisait beaucoup de bruit, je découvris, sur un petit écran que je trouvai gigantesque, un film EN COULEURS. Je conçois, quarante ans plus tard, qu'il serait plus incontournable, plus impressionnant, plus noble de raconter que je découvris ce jour-là un grand classique américain, de John Ford par exemple, avec Henry Fonda ou John Wayne et Maureen O'Hara. Malheureusement mon premier film fut un petit film anglais. Il s'intitulait Robin des bois et ses joyeux compagnons. Je n'avais pas quatre ans mais j'en ai toujours retenu le titre.
Dans son Guide des films, Jean Tulard écrit cette note laconique à propos de Robin des bois et ses joyeux compagnons : "Très médiocre en comparaison des versions de Dwan et de Curtiz".
En cet après-midi de 1952, j'ignorais bien évidemment l'existence d'Allan Dwan et de Michaël Curtiz, sans parler de Ken Annakin, le metteur en scène de ce nanar. Je n'appris d'ailleurs que bien plus tard ce qu'était un metteur en scène.
Moi, je trouvai ce film sublime. Je fus étourdi par les cascades de Robin des bois (Richard Todd), émerveillé par la beauté de Marianne (Joan Rice), atterré par la méchanceté du shérif (Peter Finch). Je ris, j'eus peur et je pleurai beaucoup cet après-midi-là.
Cet ersatz de Robin des bois m'emballa si fort que je n'eus de cesse de retourner au cinéma. D'y retourner, d'y retourner encore et d'y retourner sans cesse.
Aujourd'hui j'y retourne toujours. Et en plus, j'y tourne. Je suis metteur en scène.
Merci papa...