Le film, dans nos pays occidentaux, est un support matériel dont la location et la vente appartient à l'ayant-droit. Le statut juridique de la marchandise nommée « film » offre, à l'ayant-droit, un pouvoir absolu sur les négatifs et les copies (1). Certains en abusent (voir l'épisode récent sur les films de Pierre Etaix) et d'autres ont une autre notion du temps et de l'histoire plus intelligente en considérant que les cinémathèques ont le même rôle que les bibliothèques depuis l'antiquité c'est-à-dire gérer l'héritage du passé.
75000 films
L'occasion des 75 ans de la Cinémathèque royale de Belgique, devenue CINEMATEK, a permis tout récemment au public de découvrir les archives qui contiennent 75 000 films.
Les salles de la CINEMATEK projettent des films conservés dans des « blockhaus » pour sécuriser les archives, conserver la qualité de la pellicule qui risque de se dégrader et s'autodétruire (le nitrate de cellulose et les différents processus utilisés pour la couleur). En effet, si elle n'est pas conservée dans une température constante de + 20° degré Kelvin et 40% d'humidité relative les émulsions se décomposent. La pellicule en polyester est plus stable. Nicola Mazzanti nous l'explique en détail dans la préface de l'ouvrage 75000 films édité par Yellow Now.
Vu sous l'angle du bouleversement qu'opère à toute vitesse la technologie numérique, on est en droit de se demander comment restaurer 100 ans de films en pellicule au 21e siècle et les conserver sur un support qui, lui-même, ne cesse de se transformer et de se fragmenter en mille possibilités. Si les bibliothèques sont pérennes de siècles en siècles, qu'en sera-t-il du patrimoine des images mobiles ?
Enfin, et c'est notre chance, nous disposons aujourd'hui de responsables qui réfléchissent à la meilleur transmission possible du 7e art au delà de la toile illimitée d'Internet avec des choix de programmation qui luttent contre l'amnésie et l'oubli. Et cela en partant d'un art qui a aussi construit notre histoire et représente un temps qui n'est pas patrimonial comme nous offrent les musées des Beaux-arts.
Six points de vue : ceux des photographes Xavier Harcq, Jimmy Kets et Marie-Françoise Plissart, avec leurs images ; Dominique Païni, David Bordwell (en anglais) et Eric De Kuyper en néerlandais, côté textes.
Dominique Païni qui, parmi ses nombreuses activités consacrées au cinéma, a été directeur de la Cinémathèque française, analyse quatre points de vue : accessibilité, souvenir, patrimoine et puissance du cinéma. Païni se pose la question sur le champ illimité de l'accessibilité via Internet ou des chaînes comme netflix. On peut y voir des films qui sont inaccessibles dans les cinémathèques. « Je suis dénué de tout pessimisme. Néanmoins, je constate que la jeunesse qui découvre l'histoire du cinéma et découvre le cinéma contemporain bute assez rapidement face à l'impuissance intellectuelle du tout accessible, car la culture et la formation du goût ne dépendent pas de la seule facilité de voir tout. La construction d'une programmation, en d'autres termes la sélection, sinon le dogmatisme du choix subjectif, sont au contraire, selon moi, les conditions d'une fiction psychopompe de la programmation.»(2)
Païni insiste sur le fait que Henri Langlois, fondateur de la Cinémathèque française, insistait davantage sur la projection des films que sur leur conservation. Autrement dit, construire une programmation reste l'outil essentiel des Cinémathèques : offrir un choix dans l'océan déchaîné des images mobiles où l'on risque la noyade ou pire encore l'indifférence, la lassitude (le burn out) face à une totalité que le cerveau humain est incapable de maîtriser.
Il y a deux autres séquences sur cet art populaire, celle de David Bordwell, titulaire de la chaire Jacques Ledoux en études filmiques de l'université de Wisconsin-Madison (3), et celle d’Eric De Kuyper, né à Bruxelles en 1942, auteur de plusieurs longs métrages et romancier.
(1) « Les cinémathèques s'emploient à conserver ce que l'industrie du film s'emploie à détruire », écrivait Raymond Borde, Les cinémathèques, éditions l'Age d'homme.
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Signalons que les Cahiers du Cinéma de mars 2014 consacrent 15 pages sur la transmission du cinéma devenu une technique afin d'obtenir de l'emploi et de moins en moins un apprentissage humaniste de l'art et de la culture.
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Traduit en français, L'Art du film, une introduction, David Bordwell avec Kristin Thompson, aux éditions De Boeck.
75000 films, éditions Yellow Now-Côté cinéma et Cinémathèque Royale de Belgique.