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A l'ombre d'une mémoire de Mustafa Balci

Publié le 01/01/2003 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique

Le passage du témoin

On a connu Mustapha Balci par son merveilleux portrait des enfants du Cirat, ces gamins déshérités d'Istanbul. Aujourd'hui, toujours dans sa Turquie natale, ce jeune réalisateur de chez nous partage son amour de la musique et nous emmène à la découverte de celui qu'il considère comme son maître: Ramazan Güngor, un des derniers grands joueurs de luth (üçtelli dans le texte). Le film est une rencontre, un portrait subjectif d'un vieillard fatigué, mais encore débordant de vie, d'humour et de charme.

A l'ombre d'une mémoire de Mustafa Balci

Que l'homme soit un séducteur, qui joue de la caméra avec un art consommé, sans trop avoir l'air d'y toucher, c'est indubitable, mais Mustapha Balci nous fait également partager l'admiration et l'amour qu'il porte au personnage. Quand on sait l'immense respect voué aux anciens dans la culture turque, on apprécie à sa juste valeur la longue scène d'introduction du film, où l'on découvre d'abord la terrasse d'un bistrot, puis la longue marche de ce vieux monsieur, appuyé sur sa canne, qui lentement, vient prendre place sur le siège qui lui est dévolu pour prendre ses aises au soleil. Le ton est donné, une certaine forme de rythme également. Ce que Mustapha Balci entend nous faire partager, c'est sa rencontre avec le maître. Pas question donc de s'abstraire de son film. Il est présent, il dialogue, il joue du luth en compagnie du musicien, partage ses réflexions, ses émotions. Lorsque ce dernier est fatigué, c'est avec une piété presque filiale qu'il le couche et l'accompagne, avec nous, jusqu'au sommeil.

 

On découvre ainsi, avec piquant, toute la richesse de la personnalité du vieil artiste. Toute une vie: une mine d'anecdotes, d'événements, de savoirs. Une philosophie aussi, dans lequel l'argent et la compétitivité n'ont que peu de place, dans laquelle on laisse les choses se faire à leur rythme, où l'on prend le temps d'observer le monde autour de soi pour s'y fondre en harmonie. Mustapha Balci n'hésite pas à parsemer son film de plans où la nature, le ciel, les plantes, les animaux et aussi les hommes prennent leur place sans complexe. Poème cinématographique? Non, mais ces longues respirations subjectives nous permettent de mieux encore pénétrer l'univers du personnage en accord avec les intentions du cinéaste. Hommage, certes, mais aussi témoignage: passage de témoin pour que la musique et les valeurs que véhiculent Ramazan Gülgor, qui sont celles d'une certaine société, ne disparaissent pas avec lui.

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