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Ailleurs si j'y suis de François Pirot

Publié le 15/03/2023 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Débranche tout !

Un divorce imminent, un patron envahissant, un père hypocondriaque, une inondation sur un chantier, des insomnies… Mathieu (Jérémie Rénier), entrepreneur fragile et stressé, est proche du burn-out. Alors que ses problèmes quotidiens accaparent son esprit et sa santé, un matin, sur un coup de tête, il suit un cerf et s’enfonce dans la forêt, derrière sa maison. Arrivé au bord d’un magnifique étang dans une clairière, il se déshabille, s’y baigne… et décide de rester là. Il se débarrasse de son smartphone et, dans les jours qui suivent, lâche tout pour « ne plus rien faire » : il se baigne, observe la nature et ne réfléchit à rien. Tel Bambi qui apprend à marcher, Mathieu apprend enfin à respirer. Il ne veut plus « devenir », mais redécouvrir certaines valeurs essentielles qu’il avait oubliées, sans se soucier des conséquences de son acte, qui va pourtant faire des émules.

Ailleurs si j'y suis de François Pirot

En effet, face à ce geste radical et inattendu, quatre de ses proches – son épouse (Suzanne Clément), son père (Jackie Berroyer), son voisin (Samir Guesmi) et son patron (Jean-Luc Bideau, fidèle à lui-même, donc absolument génial) – baignant tous dans un mal-être relativisé par leur petit confort rassurant, vont également s’interroger sur leurs choix et sur le sens de leur vie. L’escapade de Mathieu a des répercussions irréversibles sur ce petit groupe, contaminé par cette soudaine rage de liberté. Dès lors, eux aussi vont - très maladroitement - tenter de lâcher prise et de trouver le bonheur, mais, contrairement à Mathieu, ils échouent, incapables de se forger un avenir différent de ce que la société moderne leur dicte.

Ainsi, la future ex-épouse de Mathieu se lance à corps perdu dans une liaison foireuse avec un professeur de tai-chi louche qui lui fait miroiter une vie d’aventures et un voyage mystique dans la forêt amazonienne. Elle cherche un ailleurs illusoire, en vain… Son voisin, lui, est un homme mou, sans grande personnalité et dominé par son épouse. Il décide de suivre l’exemple de son ami : sans crier gare, il prend son courage à deux mains et quitte tout. Objectif : l’aventure sur les routes avec son sac à dos et, peut-être, une nouvelle histoire d’amour avec sa jolie collègue (Bérangère McNeese). Un périple qui ne durera pas plus d’une nuit… puisqu’il pleut !... Colérique, anxieux et dépressif, le patron de Mathieu attend en vain que ce dernier réponde à une importante proposition financière qui lui permettra enfin de prendre sa retraite. Ne réalisant pas qu’il projette ses angoisses et sa mauvaise humeur sur son entourage, il prend une décision fâcheuse… Quant au père veuf de Mathieu, malgré des tests médicaux qui révèlent qu’il est en parfaite santé (en rémission totale d’un cancer), il persiste à construire son propre cercueil dans son atelier et à harceler ses médecins pour qu’ils acceptent de l’euthanasier.

Entre drame, satire sociale et comédie burlesque dans l’esprit d’Alexandre le Bienheureux, teinté d’un humour décalé, poétique et surréaliste, le second long-métrage de François Pirot (Mobile Home) – qui dirige ici cinq acteurs absolument irrésistibles - est une ode mi-joyeuse, mi-amère au « lâcher prise » et à la déconnexion, un pamphlet contre le repli sur soi et l’enfermement – un thème particulièrement pertinent dans cette ère post-Covid-19 -, qui appelle à une remise en cause urgente d’un certain nombre de normes sociétales et de comportements obsolètes. D’ici à ce que nous nous retrouvions tous à baguenauder dans les pâturages, la tête dans les nuages et le zguègue à l’air, il n’y a qu’un pas. Il ne tient qu’à nous de le franchir ! Ou comme le proposait France Gall : « Revenons à nous ! »

 

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