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Attraction, la dernière-née des séries belges

Publié le 31/03/2023 par David Hainaut et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Le verdict d'Ennemi Public tout juste tombé, la RTBF enchaîne ce dimanche 2 avril avec le dévoilement d'une nouvelle série belge, Attraction. Un thriller psychologique de six épisodes (de 52') qui démarre avec un "label" non-négligeable: celui du prix de la meilleure fiction francophone étrangère, obtenu au Festival de La Rochelle en septembre dernier.

Rencontres, Boulevard Reyers, avec son tandem d'autrices, formé par la romancière Barbara Abel et la scénariste Sophia Perié, ainsi qu'avec son producteur Christophe Toulemonde (Les Gens), qui évoquent ce projet porté par Laura Sépul (Ennemi Public, Baraki) et un comédien français bien connu du petit écran, Lannick Gautry.

Des gens bien, 1985, Ennemi Public 3 et à présent Attraction: en moins de six mois, la chaîne publique dégaine les diffusions de ses séries belges à un rythme inédit. Même s'il est temporaire, il affirme le tournant local actuellement pris par le petit écran belge francophone. Indispensable, voire vital, pour la survie de ce dernier, aux dires de plusieurs décideurs de la télévision, tant pour donner le change aux plate-formes et aux canaux étrangers que, plus basiquement, répondre aux désirs du grand public. Et même si Attraction a bénéficié du concours d'une équipe transfrontalière - composée de francophones, français et flamands -, c'est bien d'une série initiée par des Belges francophones dont il s'agit ici. Plus exactement, sur une idée lancée par une productrice bien connue, Catherine Burniaux, à qui l'ont doit des projets aussi divers que la série Melting Pot Café, le film Quand la mer monte, l'émission Les Héros du gazon ou le récent documentaire Innommable: l'Affaire Dutroux. Et c'est elle qui a su convaincre la romancière Barbara Abel de signer cette série (son livre, Derrière la haine, est devenu le fameux Duelles d'Olivier Masset-Depasse, au cinéma), ce que nous confirmera celle-ci: "Quand le projet a été validé par la RTBF, j'étais paniquée, car je ne pensais pas du tout accepter! Puis Catherine m'a adjoint une scénariste, Sophia Perié, avec qui on a travaillé dans un espace de coworking. Cette union a été déterminante, tant une série réclame une structure et une écriture particulières, pour lesquelles Sophia était plus rodée que moi."

Une création 100% libre

Sophie Perié, scénariste française vivant et enseignant en Belgique (à l'IAD, pour le master professionnel de scénario), cette Parisienne de naissance jouit de près d'une décennie d'expérience dans l'écriture sérielle (La Stagiaire, Munch...). Elle a souligné la liberté rare de ce projet: "En terminant d'écrire, on s'est dit que nous avions vraiment fait de notre mieux. C'est la série qu'on avait dans notre tête, un plaisir que n'ont pas toujours les auteurs. Il faut dire qu'on partait sur une ébauche originale de la productrice qui touchait à son propre vécu, avec un mari souvent en déplacement professionnel, sans parfois savoir ce qu'il faisait. Avouons que comme début de thriller, c'était pas mal!" (rire)
Au final, ce qui s'est donc transformé en récit évoque le destin d'Agathe (la cinacienne Laura Sépul), une femme au foyer mère de deux enfants, vivant dans un pavillon du Brabant wallon aux côtés de Fred (Lannick Gautry). Si après quelques années de vie commune, tout semble normal dans ce ménage, cette ancienne sage-femme va peu à peu avoir des doutes sur la fidélité de ce généticien, si souvent éloigné de la maison pour son métier. Et ...à raison, car celui-ci cache quelques "cadavres" dans son placard! S'ensuit une histoire rocambolesque qui, progressivement, naviguera entre thriller, (un peu d') humour noir et toxicité, dans une atmosphère angoissante et tendue. Et un ensemble porté par ses deux acteurs, particulièrement bien dirigés par un réalisateur flamand reconnu, Indra Siera (Unité 42, Professor T...)

Tout autour de Laura Sépul

Un directeur de comédiens dont les talents ont été plus d'une fois loués par Abel et Perié. "C'est quelqu'un d'inventif et surprenant", nous dira la première. "Il a bien soigné l'esthétique. L'image a un côté classe et élégant." La deuxième a rappelé que c'est Siera lui-même qui a misé sur Sépul, jouant le rôle central. "Il l'a intégrée tôt dans le processus. C'est d'ailleurs la seule actrice qu'on a vu pour ce rôle, tant elle a été l'évidence absolue! Elle a apporté quelque chose de juste, de précis et de sensible au personnage. Ce qui en fait, nous manquait à l'écriture. Puis, elle a une éthique de travail. Elle est souvent revenue donner la réplique aux autres acteurs lors des castings. C'est un bourreau de travail, et qui respecte les autres! On a donc eu une chance inouïe, car tout le casting s'est construit autour de Laura."
Elles considèrent leur série comme "populaire": "Dans ce qu'il y a de plus positif dans le terme, avec des thèmes universels et une facilité d'accès qu'on espère, mais aussi avec beaucoup de musiques (d'Yves Gourmeur) allant dans ce sens". Le duo ajoute, concernant le personnage d'Agathe/Sépul que "Cette femme pourrait être comme beaucoup d'autres. On part quand même d'un contexte tout à fait ordinaire, avant de basculer dans les événements, la tension et tout ce qui peut rendre ce divertissement familial surprenant". Pour les besoins du scénario, Abel et Perié ont assisté à deux procès d'assises, et écrivent déjà la deuxième saison, plus courte (4 épisodes), avec une autre histoire, un autre décor et d'autres personnages, Attraction étant ce qu'on appelle une série "anthologique".
En marge, Abel peaufine un nouveau roman et patiente la sortie du remake hollywoodien de Duelles, avec Jessica Chastain et Anne Hathaway, qui devrait sortir d'ici la fin de cette année. Quant à Perié, elle développe - notamment – une autre série (Dear Life), centrée sur une jeune fille, en rémission d'une maladie grave.

Première série francophone pour Les Gens

Précisons qu'Attraction est le premier projet du genre porté par Christophe Toulemonde pour Les gens, lui qui est à la tête de cette structure de quatre personnes – dont Burniaux, donc - depuis début 2021. Bien connu dans le milieu du cinéma belge depuis une quinzaine d'années (son parcours l'a mené chez Scope, Caviar et Belga), cet autre Français assimilé nous a expliqué: "Les Gens appartiennent en fait à la société flamande De Mensen, bien connue au nord du pays pour des émissions télévisées (dont le quizz Blokken, qui triomphe sur la VRT depuis 1994). Notre ADN est surtout la télé (fiction et non-fiction), mais on ne s'interdit pas de longs métrages. On en développe d'ailleurs un en ce moment. Comme il n'y a pas énormément de séries belges francophones qui se font, c'est bien sûr un moment important pour nous. On est fiers de voir l'aboutissement de ce long travail, commencé bien avant mon arrivée. Et le Fonds des Séries mis en place par la Fédération et la RTBF évolue bien. C'est grâce à ce guichet qu'Attraction a pu se faire avec un budget et donc une qualité correspondant aux standards internationaux. Même si en Belgique, on reste obligés de collaborer avec l'étranger, soit via un partenaire de diffusion français (NDLR: TF1 en l'occurrence ici, qui a racheté la série), soit via une plate-forme de streaming. Mais on est bien dans un projet majoritairement belge, avec des techniciens et des lieux de chez nous, et pratiquement tous les comédiens."

La Belgique francophone est dans une bonne dynamique (Christophe Toulemonde, producteur)

Un producteur qui jouit d'une expérience au nord du pays - où il vit - et dont le regard singulier confirme l'évolution des financements, en matière de production de séries. "La Belgique francophone est dans une bonne dynamique, qu'il faut poursuivre. Mais nous ne sommes pas la Flandre. Pour vous donner une idée: quand les Flamands produisent six épisodes de cinquante minutes, ils reçoivent trois fois plus d'argent des chaînes de télévision que nous, et deux à trois fois plus de la part des acteurs de financement, comme le VAF. On a donc moins d'argent disponible au sud, et forcément, une manière de coproduire différente, au cinéma comme à la télé. Selon moi, on ne peut pas penser qu'on arrivera un jour à produire des choses dans une économie qui s'auto-suffit. Mais c'est valable au nord actuellement, car eux aussi doivent solliciter de plus en plus souvent des partenaires étrangers.
Un dernier point que j'épinglerais, c'est que la Belgique francophone, vu ses moyens limités, restera un laboratoire à talents pour la France. Il sera toujours compliqué de rémunérer les Belges les plus talentueux avec nos budgets. Donc, si on veut faire des séries belges avec nos plus grands acteurs, ce sera impossible sans un soutien massif d'un diffuseur étranger."

Avec une petite surprise au casting...

Également interprété par Félicien Chardome, Keane Simons – dans les rôles des enfants -, Attraction fait défiler une pléiade de comédiens belges en vue (les séries servent aussi à cela...), de Babetida Sadjo (Into The Night) à Camille Pistone (Fils de), en passant par Hélène Theunissen, Fabrice Boutique, Karim Barras, Muriel Bersy, Fred Etherlink et bien d'autres. Comme ...Hadja Lahbib (en présidente de tribunal), devenue ministre des affaires étrangères depuis le tournage, l'an dernier. La série, a également été écrite par Gilles de Voghel (l'un des créateurs d'Ennemi Public) et Julien Gras-Payen (e-Legal), et est donc une coproduction entre le Fonds des Séries Belges (de Fédération Wallonie-Bruxelles et la RTBF), Les Gens, Proximus - qui a pré-diffusé la série sur Pickx+Séries, en janvier - et Gallop Tax Shelter. Avec les soutiens de TF1, la Région Bruxelles-Capitale, Wallimage, Newen Connect et le Tax-Shelter du Gouvernement Fédéral de Belgique.

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