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Billet de confinement de Marine Bernard

Publié le 11/05/2020 par Marine Bernard / Catégorie: Carte blanche

Si j’écris régulièrement des critiques sur des documentaires, des courts métrages et des fictions belges pour Cinergie, j’exerce, à côté de cela, la fonction d’accessoiriste de plateau depuis plusieurs années. Ces deux métiers de création, qui se répondent et se complètent, m’enrichissent car ils me permettent de cultiver un double point de vue sur le cinéma et d’en comprendre les rouages.

Mais depuis quelques semaines, ce n’est pas une surprise, je traverse, comme d’autres collègues du secteur, une période inédite dont les stigmates apparaissent déjà à bien des égards. Près de deux mois après l’annonce de la suspension de tous les projets audiovisuels, le bilan économique s’annonce sans précédent. Festivals annulés, salles de cinéma fermées, maisons de productions à l’arrêt, tous se posent la question de savoir à quelle sauce nous allons être mangé, voire dévoré.

Même si je me doutais de certains ressentis, j’étais intéressée de savoir comment mon entourage professionnel vivait ce moment « en suspens » et entrevoyait la possibilité d’un nouveau type de cinéma, compte tenu des répercussions. J’ai alors sollicité quelques-uns de mes collègues avec qui je venais de démarrer le tournage d’une série et d’autres avec qui j’avais eu l’occasion de travailler par le passé. Tous m’ont aidé, à travers un court questionnaire, à faire le point sur une situation dont je vous livre quelques facettes aujourd’hui.

Marine BernardÀ des degrés différents, nous subissons cette crise de plein fouet. Projets suspendus, postposés et même annulés, nous sommes privés de nos sources de revenus principales et si certains d’entre nous touchent des indemnités de chômage, survivent grâce au statut d’artiste ou grâce au droit passerelle, d’autres ne bénéficient d’aucune aide. Cette période de vache maigre nous inquiète fortement et, bien que la plupart d’entre nous soit dans l’attente d’une reprise, quelques-uns pensent déjà à une reconversion professionnelle. Il ne faut pas se mentir, nous courions déjà après nos heures avant le gel de nos activités et cette crise ne fait qu’accélérer cette course contre la montre. Force est de constater qu’aucun de nous, même avec l’aide financière des services publics, ne pourra assurer ses arrières sans reprendre le travail.

Forcés d’être inactifs pour une durée indéterminée, notre attention quotidienne s’est braquée sur le flux incessant d’informations qui, faute de nous éclairer, nous a plongé dans l’incertitude la plus totale. Au cœur de cette ambiance anxiogène et frustrante, nous sommes devenus impatients et avides de changements. Plus les interventions médiatiques du gouvernement belge se multiplient, plus nous sommes interloqués par la place qu’il semble nous accorder dans « ce monde d’après ». Si l’envie de tourner se mesure à l’unanimité, face à cet assourdissant silence et à l’absence de mesures concrètes, nous éprouvons forcément de la colère. Nombreux sont ceux qui se mobilisent pour se faire entendre à travers leurs écrits et leurs voix, pendant que d’autres s’échinent à faire le tri dans ce magma médiatique et se rassemblent virtuellement pour trouver des solutions qui amortiront le choc de cette crise sanitaire. Conscients que ces démarches prennent du temps, nous voulons, avec une certaine résilience, être sûrs que nous faisons partie d’un processus de relance et, surtout, nous exigeons une meilleure visibilité. Nous savons qu’à court voire à moyen terme, se profile un nouveau type de cinéma dont toute l’organisation découlera des décisions sanitaires. Le rapport au temps et à l’argent va radicalement changer. Nous pensons à des tournages aseptisés menés par des équipes réduites qui travailleront à huis clos et lors desquels l’improvisation n’aura pas sa place.

Et pour que ce dernier aspect soit envisageable, la phase de préparation du tournage devra être repensée drastiquement.

À cela, d’autres questions viennent rapidement s’ajouter. Comment maintenir les distances de sécurité ? Les acteurs vont-ils devoir se maquiller et s’habiller eux-mêmes ? Comment gérer la transmission des accessoires ? Plus nous pensons à une journée de tournage type, plus les contraintes s’accumulent. Cela n’est pas impossible mais nous allons devoir faire preuve d’ingéniosité pour que ce type de cinéma soit viable.

Au bout du compte, si nous pensons tous que le manque à gagner est colossal, nous sommes tous persuadés que le jeu en vaut la chandelle.

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