Cinergie.be

Bloguons les blogs

Publié le 15/06/2014 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Carte blanche

Prologue

Désormais sur Internet, pour s'informer, il est fréquent de cliquer sur des liens qui ne mènent nulle part, sinon à des pages nous proposant un abonnement aux sites qui diffusent les articles. Il s'agit, le plus souvent, de « native advertising » (publicité rédactionnelle). En plus, à droite de l'écran, le catalogue de la Redoute vend des slips et des soutien-gorges moins chers que dans une boutique de la zone urbaine. Les écrits fournis par les agences de presse se ressemblent. Bref, la méconnaissance du monde s'accélère à toute vitesse. Sur facebook, les même personnes vous envoient, tous les jours, leur nouveau « profil » : la répétition sans la différence, pour parodier Deleuze. Détourner l'intelligence collective sur laquelle est basée Internet et pour laquelle les universités l'ont mis en place pour se servir du réseau à des fins mercantiles, c'est ce que les historiens appellent une fin de cycle.

Renversant,  photo d'IlyasComme toujours, il y a des résistants, pour qui le point de vue et la liberté d'expression existent encore. On ne les trouve pas dans les vidéo-clips, aussi assommants que le blabla permanent des téléphones portables, mais dans les blogs qui modifient quelque peu le paysage de l'industrie des informations-communications qui se déploient dans le « multimédia » ou le « crossmédia » (l'information fabriquée comme la saucisse). Les blogueurs, eux, démarrent un nouveau cycle.

Le blog, (abréviation de weblog), cette belle invention, est un site personnel, une sorte de journal de bord qui publie, au fil du temps de la vie d'un individu singulier, des écrits, des photos, des dessins. De l'écrit et de l'image, sans publicité, c'est-à-dire sans propagande, le paradigme du capitalisme tardif : la consommation.

Au niveau cinéma, celui de Jean-Michel Frodon nous apprend plein de choses sur le cinéma du monde entier. Serge Kaganski possède un blog plus intéressant que ses écrits dans les Inrocks. Il se lâche, comme disent les acteurs de cinéma, chose impossible quand le magazine « culturel » pour lequel on travaille n'hésite pas à mettre Superman en couverture.

Un blog qui nous réveille, celui de Ilyas Essadek
Circuler dans le vaste monde sans beaucoup d'argent, en explorateur plutôt qu'en touriste, est le pari de Ilyas Essadek, jeune photographe ambulant de 26 ans.

« Je zigzague sur la planète sans but précis. Voyageur sans sens de l'orientation. J'aime me perdre pour mieux me retrouver... ici et là mais plus par là. »

Il déambule, sac au dos, appareil photo, et carnets dans lesquels il note jour après jour ses aventures quotidiennes. Le lire est plus qu'instructif, c'est simplement passionnant. On a l'impression qu'on revient de façon tout aussi pragmatique à l'époque où les opérateurs des frères Lumière parcouraient le monde pour nous apporter des images qui n'étaient pas encore de l'intericonicité (mot savant pour expliquer qu'après une première image on ne fait que reproduire les images qui sont déjà disponibles, on ne les transforme que lorsqu'on les réincarne).

Intrigués, nous sommes d'abord allés voir une exposition sur l'ensemble de ses photos tirées de son voyage en Afrique, (après l'Amérique du sud, l'Inde, le Népal et la Palestine) au Centre Culturel d'Eterbeek.

Lets de music play, photo d'Ilyas

Tout d'abord, ce qui frappe, ce sont les jeux d'ombre et de lumière des personnages, le côté miroir des reflets qu'offre l'eau, mais ce qui domine, ce sont les rencontres humaines, le ressenti de ce qui se passe : le travail des femmes, des enfants, la rencontre et le dialogue avec les gens plutôt que la diversité des paysages africains, du Sénégal au Mali, de la Mauritanie au Congo en passant par le Maroc.

Ce qui intéresse Ilyas Essadek, comme HCB (Henri Cartier-Bresson), c'est le quotidien, l'ordinaire, voire l'insignifiant. Capturer la spontanéité de l'instant pour signifier le monde consiste à élever l'éphémère vers l'éternel. On comprend pourquoi l'une de ses nombreuses photos a été sélectionnée avec celles de trente autres jeunes photographes parmi des milliers d'autres lors d'un concours international basé sur « l'instant décisif » cher à HCB. Elle est exposée à Paris, à la galerie Beaurepaire.

Ensuite, nous avons lu son journal sur son blog, titré « Click 'n ride (Bruxelles- Kinshasa par la route) ». Une chronique sur les anecdotes d'un voyage en temps réel grâce à son ordinateur portable. À Lagos : « Quand je suis sur la route, je ne dors que dans les auberges et chez les habitants. Souvent, il n'y a pas de wifi. Je vais frapper à la porte des grands hôtels pour utiliser leur connexion haut débit. Ils refusent rarement en échange d'une consommation. »

Quelques conseils aux intrépides voyageurs. À Essouira, au Maroc, Ilyas recommande le riad Dar El Pacha, dans la Médina : cinq euros la nuit plus le petit déjeuner. À Bamako, au Mali, comment laver son linge sale dans un évier sans bouchon ? En roulant en boule ses chaussettes pour le remplacer. Au Sénégal, à Pikine, il se fait inviter à manger toutes les 15 minutes, rencontre un grand monsieur de 106 ans qui a vécu en France. Les yeux fermés, il conte sa vie. Superbe Photo.

Chez Ilyas Essadek, l'écriture et les images photographiques forment un dialogue qui marche très bien.

Quelques citations : « Apprendre à attendre et à ne rien faire » puisque la composition de l'image nécessite une connaissance préalable, c'est-à-dire du temps avant de trouver le moment du tir photographique (l'instant décisif), ou « Parler moins et observer plus », comme dit le proverbe, le silence est d'or et la parole est d'argent. Pour Ilyas Essadek, écrire et photographier est une façon de vivre et de s'impliquer. Capter la réalité fuyante par l'écrit et les images est une vision neuve par rapport au tout, à l'image filmée.