La Fédération Wallonie-Bruxelles, dans le cadre du FIFF, a organisé, en ce mois d'octobre 2012, une série de débats sur les enjeux et les perspectives du numérique. Démarrons par la conclusion en rejouant, par écrit, une narration composée de flashback, la Citizen Kane, le film pérenne d'Orson Welles.
Chers citoyens, tracez le sillon, osez le cinéma belge, qu'il soit physique ou virtuel
La conclusion de Frédéric Young, de la SACD, nous a ramené ailleurs que dans le traineau du business de la marchandisation, des convergences médiatiques – beaucoup d'intervenants n'ayant comme seul souci que de s'emparer de parts de marché rentables au maximum. Young nous a rappelé que le contenu a autant d'importance que la technique aussi bien dans l'utilisation de ce que le visuel appelle le marché physique (salles, livres, cd musicaux) que dans l'exploitation (champ ou chant) du déploiement technologique qui ne cesse de progresser. Est-ce pour autant que l'auteur, celui qui crée et innove, repoussant les contraintes du marché, a autant d'importance dans la "révolution informatique" que les moyens qu’il utilise ? Évidemment, oui. Bref, l'auteur-créateur demeure un maillon important dans les canaux de diffusion, même si certains pirates s'en contrefichent en se prenant pour Vito Corleone, le "Godfather" mafieux, de la trilogie de Francis Ford Coppola, Le Parrain 1,2,3. (1)
Clic.
Avant cela donc, quoi de neuf dans le méli-média du "cross media" (néologisme :le flux continu de la mise en réseau des médias, dans la diversité de la communication, il y a 10 ans on disait multimédia). Le business prospère. Les télés et les opérateurs multiformes s'emparent de la toile pour vendre leurs produits divertissants (RTL, Be TV, Belgacom et VOO) en s'interrogeant sur la part du gâteau que les "consommateurs" leur réservent dans un avenir proche. (2)
Y-a-t-il encore un citoyen dans le monde des médias digitaux ? Il est permis de se le demander. Par ailleurs, après la conquête de l'Amérique, de l'Ouest des Etats-Unis, et de la lune, l'espace virtuel remplace, à nos risques et périls, l'espace physique. Nouvel Eldorado, les écrans se multiplient avec la vente des tablettes tactiles et des smartphones. Le choix de l'offre se diversifie. La VOD progresse, que ce soit en streaming (diffusion en mode continu) téléchargement temporaire ou définitif sans pour autant rafler la mise au DVD qui, de plus, offrent en bonus un livret ou un livre (c'est le cas, par exemple, de certaines collections éditées par Wilde Side, Malavida, Les films du paradoxe), donc de l'image et de l'écriture. Les deux, à l'orientale, le yin et le yang (3).
Double clic.
Autre flashback: les enjeux juridiques. Dans la jungle médiatique qui explose, il y a donc encore des lois? Oui, citoyens, respirez un coup. Tanguy Roosen de la SACD nous parle précisément du cadre juridique qui existe entre les auteurs-créateurs et les distributeurs de service, en Belgique, et, aussi, le flou juridique du "cross média", autre nouvel Eldorado pour la mondialisation médiatique et donc aussi pour la Wallonie.
Déclic.
Rappelons que les néologismes anglo-saxons sont la plupart du temps destinés à contourner la loi. C'est inattaquable puisque cela n'existe dans aucun code pénal. La minute du rire arrive avec les néologismes qu'on nous a servis comme du whisky non tempéré à l'eau : digital extension, natfix (SVOD), I tune, catch-up tv, connected tv, hybrid tv, hbbtv, digital experiences, bling-tv (un intrus s’est glissé dans cette liste, on vous laisse le soin de le découvrir dans ce jeu pour balèzes ou pour "gros sous" comme disent les Chinois- 4). Arrgh, ne soyez pas nullards et captez l'essentiel, citoyens. (5)
Clic.
Sapristi, retour au flashback avec Jean-Yves Bloch qui a deux casquettes, les DVD Blaq Out et la plate forme VOD : UniversCiné. Le Digital Vidéo Disc le et le Double clic. Suite et fin.Blu-Ray ne lui paraissent pas encore obsolète par rapport à un système vidéo à la demande qui ne cesse de grimper dans la pyramide économique. Il signale que nous sommes dans la conquête du Far West avec des pirates et des titans plantaires étasuniens (google) qui cherchent, comme les studios américains à l'époque de l'exception culturelle, à conquérir l'ensemble du marché mondial. La législation européenne se construit lentement et le piratage prospère donc tout azimut dans le néo-libéralisme dominant. Enfin, la 3D, elle, semble une grenouille, un épisode qui ressemble à un remake de celui que nous avons connu dans les années 50 (UniversCiné Belgique promotionne notre cinéma, osons donc).
Le numérique est-il, plus que la femme, l'avenir de l'homme ? Pour les Cinémathèques, cela pose autant de problèmes que cela n'en résout. Nicola Mazzanti, avec la double casquette ACE, (Association du Cinéma Européen) et Cinematek de Belgique, et Alain Goosssens de la Cinémathèque de la Fédération Wallonie-Bruxelles (existant depuis1946) nous signalent leurs problèmes sur la conservation des films (analogiques et numériques) et la mise à disposition du public de ce patrimoine qui a plus d'un siècle. Tout le monde se pose la question désormais, le DCP est-il une panacée, et surtout, est-il pérenne ? Le problème majeur: lorsqu'il est crypté, comment le décrypter dans les années à venir si le producteur ou le distributeur qui gère le disc disparaît ou fait faillite? Pour la FWB, la filière mise en place pratique l'encodage JPEG2000 et la lecture DCP précise Alain Goossens. Mazzanti demande aux réalisateurs de récupérer leurs films ou de les déposer à la Cinematek. En ce moment, tous les labos analogiques ferment leurs portes et disparaissent. Osez récupérer les masters de vos films, de vos œuvres avant qu'une multinationale de l'audiovisuel ne s'en empare comme des pirates et les mettent sur le marché sans loi du digital. Sachez qu'en Belgique il n'y a pas de dépôt légal, mais un dépôt conventionnel. Que les deux cinémathèques prennent le 35mm devenu pérenne mais de plus en plus couteux et aussi les dépôts en DCP (Apple pro, Mpeg 2, Mpeg 4 (h264) et Quicktime).
Dites donc citoyen, si vous Écriviez en français !
Sorry. A plus, citoyens...
Quelques compléments pour en savoir plus :
(1) Comment se servir du paradis fiscal qu'offre Internet: voir MegaUpload de Kim Dotcom qui a été fermé par la justice américaine, fin 2011.
(2) "Maintenir chacun dans un État d'impuissance engendré par la routine mentale prolongée est l'effet produit par un grand nombre de publicités et de programmes de divertissement" in La Mariée mécanique – Folklore de l'homme industriel de Marshal McLuhan, Éditions Ere.
(3) Sur le documentaire, Jacques Bidou (producteur, entre autres, de Rithy Panh) : le DVD est un support très important qui permet à un film de rebondir. Mais c'est la fin d'une époque : la révolution de la vidéo à la demande n'a toujours pas eu lieu in Le Monde du 7-8 octobre 2012.
(4) Sur le mode du sur-place : "Paradoxe : l'hyper-progrès se fait immobilisme. Il est toujours vrai que les choses ont changé davantage ces trente dernières années que depuis l'époque du Christ. Et puisque c'est toujours vrai, rien n'a donc changé depuis cet énoncée de Peguy" in Richard Powers, Trois fermiers s'en vont au bal, éditions 10/18. Sur le système fermé et autopropulsé de l'accélération, lire Aliénation et accélération, d'Hartmut Rosa, éditions la découverte.
(5) Sur le déluge des néologismes foireux, il existe aussi le "rumsfeldisme" de Donald Rumsfeld : "Nous savons ce que nous savons, nous savons qu'il y a des choses que nous ne savons pas, et nous savons qu'il y a des choses dont nous savons que nous ne savons pas que nous ne le savons pas", cité par Martin Amis in Le deuxième avion, Èditions Gallimard.