Cinergie.be

Continuer de Joachim Lafosse

Publié le 30/01/2019 par Fred Arends / Catégorie: Critique

Les Chevaliers de l'intime

Pour son huitième long-métrage et après l'oppressant L'Economie du couple (2016), le prolifique Joachim Lafosse prend le large et ouvre son cinéma aux grands espaces pour ce road-movie intime et porté par deux comédiens au diapason : Virginie Efira et Kacey Mottet Klein.

Continuer de Joachim Lafosse

Sans préambule ni introduction, Continuer semble prendre le récit en cours de route. Dans un paysage lunaire de pierres, une jeune homme à cheval appelle sa mère par son prénom. Sam et Sibylle, héros de cette traversée, littérale, du désert, se cherchent et vont essayer de se trouver. Les premiers plans, sans un mot, marquent déjà les difficultés à l’œuvre dans cette relation mère-fils. Le passé et les raisons de ce voyage sous haute tension seront révélés tout le long de ce périple sur une tentative de réconciliation. Mû par une rage incontrôlable et souvent violente, Samuel est un adolescent en proie à la colère, contre sa mère, contre le monde, que les paysages rocailleux et immobiles n'arrivent ni à contenir, ni à apaiser. Voulu par Sybille, ce voyage équestre à travers les montagnes du Kirghizistan, s’avérera semé d'embûches et de rencontres qui viendront panser et peut-être guérir un lien filial ténu et particulièrement fragile.
Adapté du roman éponyme de Laurent Mauvignier, Continuer est une lutte incessante entre ces deux personnages, empêcher la chute de son fils de l'échelle de la vie pour Sybille, régler ses comptes et percer les secrets de cette mère trop longtemps absente pour Samuel. Comment rattraper un passé déjà lointain et qui a beaucoup gâché, tout en posant les premiers pas d'un avenir différent et pourquoi pas meilleur ?
La construction du récit va permettre une ouverture, aussi minime soit-elle, dans cette relation blessée. Cinéaste de l'intime et des espaces souvent clos, Lafosse avait déjà entrepris l'élargissement de son cadre dans Les Chevaliers blancs (2015) mais qui, bâti sur un fait divers, maintenait ce cadre dans une perspective morale. Le décor sublime de Continuer conduit le cinéaste sur les traces d'un western souvent haletant : courses à cheval, pistolets chargés, attaque de brigands et traversées de dangereux marais. Mais ce qui l'intéresse avant tout est le duel qui se tient, tout le long, entre cette jeune mère abîmée et ce fils hyper-sensible.
Le cinéaste recrée, à ciel ouvert, des chambres de l'intimité où la parole va pouvoir à nouveau circuler et apaiser les souffrances. La beauté des images n'est jamais emphatique car il s'agit à chaque fois de penser la relation à l'autre. Les séquences de nuit au coin du feu sont la concrétisation la plus visible de ce film de chambre en plein désert : l'alcool et les cigarettes deviennent monnaie d'échange pour des secrets révélés, la tente comme refuge d'une relation prête à renaître, les peurs de la nuit ravivant les sentiments d'amour. De même, la musique, très peu présente, étonnante et mélancolique composition d’Astor Piazzola, amplifie le lien entre Samuel et Sybille ou le contredit (la superbe séquence où Samuel danse sur le rocher).
Enfin, toujours grand directeur d'acteurs et d'actrices, Lafosse permet à Kacey Mottet Klein de confirmer tout le bien que l'on pensait de lui et à Virginie Efira d'étendre sa palette de jeu, subtil et émouvant.

Tout à propos de: