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Convoi exceptionnel, de Bertrand Blier

Publié le 29/07/2019 par Grégory Cavinato / Catégorie: Sortie DVD

Buffet Tiède

« Il est temps que j’arrive ! Ces mecs-là, vous les laissez cinq minutes sans surveillance et HOP, ils vous font une guimauve… », s’écriait Michel Serrault en débarquant à l’improviste dans Les Acteurs, de Bertrand Blier. Ce dernier, cinéaste iconoclaste, adepte d’absurde et de jazz, pourrait dire la même chose en venant une nouvelle fois saccager le paysage fadasse du cinéma d’auteur français. Neuf ans après Le Bruit des Glaçons, Blier revient néanmoins avec un film mineur au sein de sa filmographie, étonnamment court (1h19), sorte de compilation de son style et de ses obsessions, sur le modèle de Buffet Froid et de son chef d’œuvre mal-aimé, Les Acteurs… Deux personnages sortis d’un roman de Samuel Beckett qui errent et tournent en rond, sans savoir où ils vont ni pourquoi ils y vont ? Deux imbéciles qui dissertent sur l’amour et la mort en mangeant du foie gras ? Une histoire absurde qui, en fin de compte, ne mènera absolument nulle part ?... Pas de doute, nous sommes bien chez Bertrand Blier !

Taupin (Gérard Depardieu), un SDF qui pousse un caddie de supermarché (dans lequel il dit avoir mis « toute sa vie », bien qu’il soit vide), rencontre Foster (Christian Clavier), un bourgeois en manteau à poil de chameau, au milieu d’un embouteillage (métaphore récurrente de l’absurdité de l’existence chez Blier). Après une longue engueulade, ne sachant plus que dire ni que faire, Foster sort de sa poche le scénario du film (que Taupin n’a pas lu) et révèle à son nouvel acolyte qu’ils ont rendez-vous à la séquence 17 pour assassiner un quidam. Taupin répète qu’il ne comprend rien à cette histoire, tandis que Foster s’empresse de suivre les consignes. Paumés, les « deux connards » se rendent vite compte que « ce scénario de merde » est pondu au jour le jour par un comité de scénaristes surmenés (dont Alex Lutz et Audrey Dana), à l’inspiration en berne, qui, eux-mêmes, ne savent pas trop pourquoi ils existent. Pour Foster et Taupin, les évènements vont s’enchaîner au rythme de la livraison de nouvelles pages. Au cours de leur périple, ils rencontrent une galerie de personnages aussi paumés qu’eux : une femme mystérieuse (Farida Rahouadj) qui rêve d’un grand rôle mais qui n’était pas prévue au scénario (on ne lui a même pas donné de nom !), une ex-épouse infidèle (Alexandra Lamy), un vieux producteur de cinéma sur la paille (Guy Marchand), sans oublier un inspecteur de police (Philippe Magnan) à qui l’on demande poliment de quitter le film parce qu’en fin de compte, son personnage ne servira à rien...

De nombreuses fragmentations narratives et une mise en abyme du film en train de se tourner parasitent sans cesse le flot du récit, « festival Blier » truffé de dialogues brillants et parcouru d’un sens de la provocation toujours aussi saignant. Alors, pourquoi ce Convoi Exceptionnel est-il une œuvre mineure ? Parce que la mise en scène de Blier, qui vient de fêter ses 80 ans, s’avère moins inspirée qu’à l’accoutumée, la photo nocturne bleuâtre de Hichame Alaouié conférant au film un aspect factice, délibéré, certes, mais néanmoins peu emballant, tandis que le rythme pâtit d’un manque d’idées neuves. Comme ses personnages, le réalisateur semble tourner en rond, allant jusqu’à recycler des répliques tirées de ses films précédents, se reposant sur ses chefs d’œuvre passés comme principale source d’inspiration. Or, Buffet Froid, Les Acteurs et Les Côtelettes racontaient peu ou prou la même chose, avec infiniment plus d’énergie et de rage. Une « grosse fatigue » également décelable dans des rôles féminins moins soignés que par le passé (le personnage caricatural d’Audrey Dana n’est pas loin de la faute de goût) et dans des rôles secondaires un peu négligés, interprétés par une poignée d’acteurs belges (Yoann Blanc, Bouli Lanners, Stéphane Bissot, Charlie Dupont, Isabelle de Hertogh - tournage à Bruxelles et production belge oblige) qui ne font que passer.

Malgré ce coup de mou indéniable de fin de carrière, cet inégal Convoi Exceptionnel a de beaux restes. Le duo Depardieu (fragile) / Clavier (miraculeusement sobre), pour leur septième collaboration à l’écran (avant une huitième en 2020), fonctionne à merveille et la vision de notre société moderne, qui ne va nulle part mais y fonce tête baissée, est toujours aussi drôle, acerbe, déroutante et finalement touchante. On notera deux moments de pure grâce dont seul l’auteur des Valseuses a le secret. Dans le premier, Farida Rahouadj, déguisée en Suzy Delair, interprète la chanson Danse avec moi, du film Quai des Orfèvres, interprété en 1947 par Blier père. La suivante est l’occasion d’une longue et brillante improvisation de Depardieu (procédé auparavant prohibé chez le cinéaste) où l’acteur décrit à son convive sa meilleure recette de poulet jaune des Landes (à la cocotte, avec du gros sel et de l’ail), suivie de celle du lapin de garenne au vin rouge (avec du chocolat noir pour nacrer la sauce). Irrésistible, Depardieu retrouve dans ces ultimes moments du film son appétit pour le jeu et cet œil gourmand, nés il y a 45 ans sous la caméra de Bertrand Blier.


DVD édité chez Orange Studios : https://www.orange-studio.fr/film/convoi-exceptionnel/

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