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Dossier numérique 5 - Entretien avec Louis-Philippe Capelle - HoverlorD

Publié le 01/04/2005 par Dimitra Bouras et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Dossier

On vous avait promis une suite aux épisodes de notre dossier numérique édité l’an passé. Deux occasions se présentent dans l’actualité :

 

1. Un entretien avec Dominique Standaert, réalisateur de Hop ! premier long métrage tourné en Belgique en Haute définition (voir notre rubrique propos.)

 

2. La projection de Nuit Noire d’Olivier Smolders (on reviendra sur le film avec son réalisateur, le mois prochain) et la création par  Louis-Philippe Capelle, directeur photo du film, de sa propre société Hoverlord Digital Cinematography, en partenariat avec Paul Englebert, société basée à Liège, soutenue par Promimage et qui entend offrir aux producteurs l’ensemble des services liés au tournage et à la post-production d’images filmées en haute définition. (1)

La HD Viper et Nuit Noire

Cinergie : À côté de la HD-Cam Sony qui, à l’origine, était prévue pour la télé, il existe, en Haute Définition numérique la Viper qui, quant à elle a été conçue, dès l’origine pour le cinéma. Le stade de la compression/décompression à l’enregistrement n’est pas obligatoire ?
Louis-Philippe Capelle : La Viper HD a été conçue pour le cinéma puisqu’elle a été faite en partenariat avec Technicolor. Elle a deux particularités : la première d’avoir un obturateur mécanique tournant, comme une caméra pellicule et de ne pas être un caméscope, c’est-à-dire qu’elle nécessite un moyen d’enregistrement séparé et, donc, cela signifie qu’elle a toutes les qualités qui s’y rattachent ; en offrant diverses possibilités, soit sur un disque dur, soit dans un format d’enregistrement non-séparé comme le HD-Cam mais aussi le HD Cam SR ou encore le Panasonic HDD5. On dispose donc de quatre possibilités d’enregistrements différents qui ont chacune leur qualité et leur propriété propre. La meilleure qualité étant celle qui utilise le disque dur que Thomson a appelé film stream. Un format sans compression. Ce qui signifie qu’on est dans le format 4 : 4 : 4 qui est d’une qualité comparable au format RAW, en photo, c’est-à-dire que les fichiers sont captés comme tels et non traités. Toute l’information qui sort du CDD est traitée directement sur disque dur.

 

C. : Peut-on utiliser des objectifs comme une caméra en pellicule, en contrôlant la profondeur de champ grâce au diaphragme choisi ?
L.P.C. : La profondeur de champ est un phénomène optique qui est directement lié à la grandeur de la cible. La profondeur de champ en S16 ou la profondeur de champ en 35mm est différente puisque les focales sont plus longues dans le format pellicule 35mm. En vidéo c’est la même chose ; on a des capteurs CCD d’un tiers de pouce, d’un demi-pouce, etc. La grandeur des capteurs est d’ailleurs en train d’évoluer. La Viper a des capteurs qui permettent l’emploi des focales utilisées, à peu de choses près, en S 16mm. On a une profondeur de champ qui est plus grande qu’en 35mm mais c’est un phénomène purement optique. On ne peut ni l’augmenter, ni la diminuer. En Haute Définition numérique on essaie de travailler aux plus grandes ouvertures possibles. J’ai essayé d’appliquer cela sur Nuit Noire en essayant de ne jamais aller au-delà de 2,8 de diaphragme.

 

C. : Ce qui frappe, en voyant Nuit Noire, c’est de découvrir une sorte de monde caché, dans les basses lumières.
L.-P. C. : Dans Nuit Noire, le style du film est basé sur des plans larges, en utilisant des focales assez courtes, les décors étant petits et donc on a une impression de profondeur de champ plus grande que dans un film tourné sur pellicule où l’on traite les portraits ou les gros plans des gens avec des focales plus longues. Ici le 40mm est la focale la plus longue qu’on ait utilisé. Beaucoup de plans sont pris au 8mm ou au 12mm même lorsqu’il n’y a que deux personnages par plan. Par ailleurs, Nuit Noire est un film particulièrement adapté à la HD puisque le grand défaut de la vidéo est sa réponse dans les zones de hautes lumières ou à la surexposition. La plage que l’on peut enregistrer sur la HD-Cam ou la HD 5 comporte un contraste de 7 à 8 diaphragmes, c'est-à-dire trois diaphragmes de moins que ce que l’on peut enregistrer en négatif couleur Kodak ou Fuji. Sans parler du fait que les pellicules argentiques sont très tolérantes dans la surexposition.

 

Par contre, la courbe de réponse des caméras vidéo est tirée vers les basses lumières. Du coup on a tendance à travailler en vidéo comme on travaillait en pellicule inversible. On sous-expose l’image pour garder toute l’information dans les hautes lumières et en même temps ramener l’image vers le bas. Ce qui laisse une grande tolérance à l’étalonnage. Cela signifie, pour répondre directement à ta question, que la zone intéressante se trouve dans les plages médium et dans les basses lumières. Objectivement on a une sensibilité de 320/400 ASA alors qu’on a l’impression d’avoir une 2000 ASA, sans grain. On parvient à jouer dans les zones de noir et à garder du détail jusqu’au bout. D’autant que pour Nuit Noire, j’avais choisi, pour le contraste,  un gamma  qui était relativement faible et qui me laissait le maximum d’informations dans le bas de la courbe sachant que le film n’avait que quelques scènes de jour. Le film correspondait parfaitement à ce type de prises de vues. On a utilisé toute la capacité d’une caméra vidéo dans ce qu’elle a de plus performant.

 

C. : Ce qui est assez impressionnant, pour de la vidéo, c’est la définition. C’est une caractéristique de la HD ?
L.-P.C. : J’ai vu le master en HD sur un écran normal genre 60 cm et j’ai vu 4 ou 5 projections différentes kinescopées sur pellicule. Je suis surpris et content du résultat au niveau  de la définition et de la qualité de l’image dans le transfert. Nuit Noire  est un film où l’on a pris beaucoup de risques dans le sens où je me suis lancé dans le tournage sans avoir opéré le moindre essai préalable. J’ai une grande expérience de la vidéo mais pas de cette caméra qui était le prototype Viper (caméra 001) et était en cours de développement au moment où on l’a récupéré, huit jours avant le tournage. Les ingénieurs de Thomson n’avaient jamais fait de films de leur vie ! Après dix jours de tournage, on a transféré quelques scènes choisies sur pellicule argentique. On s’est dit que ce n’était  pas mal et on a continué. C’était du noir et blanc, bleuté puisque transféré sur un négatif couleur. Je n’ai vu aucune image en couleur avant l’étalonnage. J’ai donc éclairé le film sans avoir d’a priori colorimétrique. La seule référence qu’on avait était les photos de plateau en couleurs que je prenais. A la suite de quoi, Olivier a décidé de passer à la couleur. On s’est retrouvé à étalonner le film en couleur avec de vrais partis pris. Comme ça s’est fait petit à petit, on n’était pas loin du cauchemar. Chez Ace, le garçon qui s’occupait du kinescopage était rassurant. De son côté tout allait bien. C’est plutôt avec le laboratoire qu’on a eu des difficultés au niveau du tirage des rushes. Après cela on a tiré la copie zéro qui offre une relative continuité sur les cinq bobines. Il y a quelques défauts qui devraient disparaître dans la copie 1.

 

C. : Ce dont tu nous parles ce sont des rushes du kinescopage en pellicule argentique ?
L.-P. : Capelle : Oui, si tu veux, tout est une question d’économie générale. Dans l’idéal ou dans des conditions normales on étalonne le film on le monte on fait une conformation qu’on stocke sur disque dur puisqu’on essaie d’éviter l’étape de compression/décompression. Ce sont des fichiers qu’on étalonne en 2K mais c’est cher ou alors on conforme le film en béta-digital qu’on étalonne sur une machine normale (1K) d’étalonnage et on extrapole les résultats sur les fichiers 2K. Lorsque ses fichiers sont étalonnés ils sont reportés sur un serveur informatique. C’est une suite d’images photos les unes à la suite des autres, bobines par bobines. Le transfert kinescopage est une opération qui consiste à prendre ces fichiers et les « refilmer » avec une caméra 35mm. C’est la solution économique que nous avons utilisée. Cela demande trois passages de la même image pour en obtenir une qui soit définitive dans les trois couleurs primitives  (18 secondes par images.) Ce qui met un certain temps mais permet de sortir un négatif au format voulu : 1.85. Le reste est la suite classique sauf qu’on évite l’étalonnage pellicule argentique.

 

C. : On a l’impression que la lumière ressort du visage des personnages, le visage est souvent l’un des seuls points lumineux dans l’image.
L.-P. C. : Il y a une personne qui m’a dit qu’il ne comprenait pas pourquoi on avait pris de pareils partis pris, qu’on ne voyait pas le jeu des comédiens. Je ne comprends pas. Sinon que ce n’est pas un téléfilm ! Dans les plans larges de la chambre c’est sombre, mais il y a vraiment, du détail jusqu’au bout, on voit qu’il y a du papier peint et que ce n’est pas tout noir. Cela c’est pas mal !

 

Hoverlord digital Cinematography

C. : Qu’est-ce qui t’as donné l’idée de créer Hoverlord digital Cinematography ? Est-ce le fait que la HD, conçue à l’origine pour la télé est passée au cinéma ? Une société où vous traitez toute la chaîne numérique : de la prise de vue au master final ?
L.-P.C. :
Un moment donné il faut faire des choix dans ce qu’on désire faire.  J’ai exploré tous les formats, notamment en Beta-digital. J’avais donc envie de passer à quelque chose de meilleur et qui ouvre sur de nouveaux champs de possibilités. C’est le bon moment pour travailler le numérique que ce soit en Belgique ou en Europe. Prochainement les chaînes françaises vont être diffusées en numérique. Ce qui signifie qu’une grande partie des téléfilms seront tournés en HD. Il y a deux volets : celui du cœur et l’économique. Avec l’expérience de Nuit Noire, je trouve que la Viper marche bien. La grande différence entre les différentes caméras HD se passe au niveau des optiques. Mais là, on a été intransigeant. On a exigé et obtenu des optiques fixes. J’ai refusé les zooms qui viennent du reportage télévisé, que l’on dit HD mais qui sont de qualité limitée.Là encore il y a deux types d’optiques ; des Fujinon et des Zeiss Digiprime. La qualité est comparable et elles sont au même prix. Comme au cinéma les Zeiss ont une grande réputation, j’ai décidé de les choisir en m ‘associant avec Paul Englebert – l’un des pionniers du numérique en post-production en Belgique.

 

L’idée d’Hoverlord étant d’offrir la prise de vues dans les meilleures conditions possibles tout en étant économiquement viables associant la prise de vues jusqu’au terme de la postproduction, c’est-à-dire la mise sur un support quelconque d’un master prêt à la diffusion ou au kinescopage. L’idée a eu suffisamment d’écho pour que Promimage et Wallimage aient décidé de nous supporter dans cette aventure. L’intérêt étant de créer en Région wallonne une structure de Haute Définition de cinéma numérique ayant la capacité de faire des longs  métrages, des documentaires ou des téléfilms en HD.
La société est établie à Liège pour deux raisons : d’abord pace que c’est une bonne plate-forme du cinéma wallon puisque la plupart des producteurs de la région s’y trouvent. Ensuite, on est parvenu a amener dans l’opération EVS qui est une société  liégeoise qui fait  pour la télévision  80% des images des jeux olympiques, de la coupe d’Europe des clubs champions de football, etc. Ils viennent de créer une nouvelle division qui s’appelle XDC dont la fonction première est d’assurer la diffusion en HD numérique des films de longs métrages dans les salles. Ils sont en train d’équiper beaucoup de  salles en Europe d’un système HD numérique. Les films arrivent chez eux, ils les encodent sur un serveur à partir duquel ils les diffusent dans les salles. La Belgique est à la pointe dans le rapport salles/habitants puisqu’on a 18 salles équipées en HD. Proportionnellement on est mieux équipé que des pays comme les Etats-Unis ou la France. Le pays émergeant, en ce moment est la Chine. Comme ils n’ont pas de salles ils passent directement de rien au stade de projection en HD. XDC a obtenu un contrat pour équiper 250 salles en Europe d’ici la fin de l’année. Et 500 salles dans les deux ans à venir. Notamment pour répondre à la demande de Georges Lucas qui sort Stars Wars à la fin du mois de mai. Le film ne pouvant être diffusé qu’en numérique dans des salles équipées THX Georges Lucas. Le master de StarWars arrive en HDD5. C’est le vrai master. Il arrive en Belgique, est encodé et ce sont les mêmes fichiers distribués aux Etats-Unis qui seront distribués en Europe, en Belgique et dans le monde entier. On sera donc sur un pied d’égalité quant à la qualité de ce qu’on va voir.

 

C. : Penses-tu que le numérique va offrir une meilleure diffusion aux films d’auteurs ?
L.-P.C. : Les salles commencent à s’équiper en numérique. Ce n’est pas évident sachant  que les salles dotées d’un projecteur 35mm ont investi environ  25.000 € tandis que projecteurs ou serveurs équipant une salle numérique coûtent  100.000 € Sans compter que l’image numérique progresse tous les jours. On a eu les projecteurs 1K, puis 2K et maintenant on a les 4K, c’est-à-dire une image de base nickel. Tous les centres culturels s’équipent en projection numérique dans le haut de gamme consommateur. La qualité a augmenté pour des prix relativement raisonnables. Etant donné le coût des copies films, de leurs transports, du fait qu’elles s’abîment, etc. c’est devenu rentable. On peut maintenant s’amener dans une salle avec un DVD – parce que le DVD est en train, lui aussi, de passer à la vitesse supérieure – ou via le serveur EVS avec des fichiers numériques et projeter un film. La distribution deviendra plus facile pour des films ne disposant pas de budget pour le kinescopage ou pour le sous-titrage. Donc ce sera plus facile de diffuser des films qui ont actuellement des difficultés à être vus.

 

(1) Louis-Philippe Capelle :  membre de la SBC et chef opérateur de renom s’occupera chez Hoverlord de la consultance pour la location et le service des caméras, objectifs et accessoires HD.

 

Paul Englebert, monteur, pionnier de la postproduction HD en Belgique apportera son expérience et son savoir-faire sur les stations les plus performantes de trucages, d’effets spéciaux et d’étalonnage (discreet Logic.)

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