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Elève libre de Joachim Lafosse

Publié le 01/11/2009 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Sortie DVD

Eleve Libre ou l'éthique à Jonas

Eleve libre est tout autre chose que les aventures d'un trio de libertins auquel s'ajoute un adolescent, naïf victime de la pédophilie. Propos que nous n'avons cessé d'entendre depuis la sortie de ce film surprenant sur l'apprentissage. Étonnant même car il pose des questions d'éthique tout à fait kantienne et non des questions de morale (l'éthique Kantienne propose le principe du respect de l'autre, autrement dit, on n'utilise guère une personne comme un moyen pour une fin qui ne respecte pas la sienne).

Jonas Bloquet et Jonathan Zaccaï

 

De quoi nous parle donc le quatrième film de Joachim Lafosse? Jonas (Jonas Bloquet), 16 ans, préfère le tennis à l'école (ce sont les premières séquences du film). Il quitte l'enseignement secondaire de l'école publique qui lui propose, après qu'il eut doublé son année, de passer dans l'option technique. L'horreur? En tout cas cela lui paraît dégradant. Il fera donc le jury central comme lui proposent un trio d'amis d'une mère souvent absente et d'un père qui, ayant oublié son rôle symbolique, n'offre à son fils que de l'argent. Pas de symbolique – le nom-du-père chez Lacan – pas de repères. Cette altération perverse (restons lacanien) du père de Jonas pousse Jonas vers trois autres pervers, tout droit sortis de la ratio post-moderne (le n'importe quoi, n'importe comment).

Qui sont-ils? Un couple (Yannick Renier et Claire Bodson) et Pierre, un célibataire (formidable Jonathan Zaccai), qui se chargent de la transmission qu'ont fuit papa et maman, avec la jubilation de roués du XVIIIème siècle français.

En achetant un ordinateur et des livres, Pierre succède aux professeurs et prend en charge les études de Jonas qui devient un disciple afin « d'apprendre à apprendre ». A certains moments, on se croit dans Le Banquet de Platon sur le désir entre Agathon/Socrate/Alcibiade. On va y revenir. Sauf que l'apprentissage de Jonas adolescent – flatté de pouvoir faire partie de ces adultes – se fait aussi via une découverte de la sexualité qu'il ne maîtrise pas et auquel il n'a pas l'air de comprendre grand chose. Très belle scène avec Jonas et Delphine (sa jeune amoureuse) qui est confrontée au désir rapido presto de son amant. Confronté au mystère du désir féminin, il nous montre son innocence et surtout ne comprend pas qu'il faut toucher et caresser le corps de Delphine plutôt que de lui lire Albert Camus malgré tout l'intérêt que l'on peut éprouver pour un prix Nobel de littérature. C'est tout l'art de Joachim Lafosse, depuis son premier film, Folie privée, confronter les corps dans un flux où se mélange l'attirance et le refus névrotique. Jonas (soumis au désir d'un éducateur) apprend de Pierre (jouant de la transgression à la transmission) les rouages et le rituel de l'éducation sentimentale et sexuelle.
Sur le Banquet (pas long et facile à lire en édition de poche c'est l'un des textes parmi les plus jouissif écrit par Platon) rappelons qu'Alcibiade, en bon roué, se sert de son prétendu désir de Socrate pour conquérir le riche et séduisant Agathon.

En bonus, Joachim Lafosse, en répondant aux questions des spectateurs lors de la présentation de son film en salles (son impeccable et images épouvantables) nous explique que le cinéma réside sur le hors-champ, pour susciter grâce au non vu l'imaginaire du spectateur.
Mais surtout, le réalisateur nous montre les deux essais, lors du casting, du jeu entre Jonas (Jonas Blanquet) et Délphine (Pauline Etienne). Nous vous proposerons bientôt une web-vidéo dans notre série casting sur Pauline Etienne et son vécu film/casting.

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