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Entrevue avec Dominique Abel et Fiona Gordon à propos de L'Iceberg

Publié le 01/12/2005 / Catégorie: Entrevue

Le burlesque revisité

Après de longues années au théâtre et trois courts (Merci Cupidon, Rosita et Walking on the wild side), Fiona Gordon et Dominique Abel ont gardé leurs influences clownesques pour leur long métrage. Co-réalisé avec le français Bruno Romy, lui aussi acteur et compagnon de route, L'Iceberg a fait un tabac dans plusieurs festivals (de San Sébastien à Kiev, de Tübingen à Zagreb…), en permettant aux divers publics de (re)découvrir une comédie physique dans le style de Buster Keaton. Le film, nous avoue le duo burlesque, est une histoire "simple et universelle", où les mots cèdent la place à l'expression des corps et où le mouvement des acteurs supplante les motivations des personnages.

 

C. : Pourquoi avez-vous décidé de passer derrière la caméra ?
Dominique Abel : En tant qu'acteurs de théâtre – dans notre univers clownesque - nous étions déjà inspirés par le cinéma parce que nos héros étaient Chaplin, Keaton, Tati… C'est comme si nous n'avions jamais quitté le milieu.
Fiona Gordon : Moi, j'ai toujours voulu faire du cinéma, mais c'est le théâtre qui est arrivé d'abord. Le cinéma – plus difficile à maîtriser techniquement – est venu plus tard. Nous ne sommes pas des acteurs de théâtre qui ont transité au cinéma. On est un duo burlesque qui fait du théâtre et du cinéma.

 

C. : Voulez-vous garder ce style burlesque ou avez-vous envie d'essayer d’autres registres?
D.A. : Nous n'avons pas choisi ce style-là, c'est le style qui nous a choisi ! Notre univers burlesque va évoluer, mais je n'arrive pas à m'imaginer en train d'entreprendre un film sans inventer l'histoire et la forme; ce qui n'est pas toujours le cas chez les cinéastes. Pour moi, il y a une intervention sur les couleurs, sur les matières, sur les décors, sur les choix des costumes, tout ce qui compose l'image fait partie du dialogue.
F.G. :
Notre premier but n'est pas de faire du "bon" cinéma. Nous avons envie de toucher les gens avec la façon d'être de nos personnages. On diffère peut-être des autres cinéastes parce que le plus important pour nous, ce n'est pas de maîtriser le langage cinématographique. Pour nous, tout doit partir du personnage.

 

C. : Qu'est ce qui est à l'origine de L'Iceberg ?
D.A. : Bruno nous a proposé un certain nombre de petites idées sur papier : une femme enfermée dans une chambre froide, une femme qui partait vers un iceberg… On en a pris quelques unes.
F.G. : C'était assez simple et universel : l'idée que nous pouvons tout laisser tomber et recommencer ailleurs.
D.A. : Nous cherchons des histoires simples dans lesquelles notre univers clownesque puisse s'épanouir. On ne peut pas avoir un scénario bétonné avec des rebondissements et beaucoup de dialogues. Il faut qu'il soit simple, parce que c'est dans la manière de jouer que tout se passe.

 

Sur le tournage de l'Iceberg © JMV/Cinergie

 

C : Parlez-nous du processus d'écriture d'un scénario. Qui joue plus sur l'expression des corps que sur les dialogues ? Les premières versions du scénario étaient-elles aussi peu dialoguées ?
F.G. : Nous avons créé une série d'idées de scènes, puis nous avons fait plusieurs essais jusqu'au moment où, au bout de deux ans, nous avions un scénario que nous pensions pouvoir bien marcher.
D.A. : Nous sommes attirés par un langage non verbal, donc dès le début, le scénario était peu dialogué. Le problème d'écrire un film comme le notre c'est que nous pouvons décrire des scènes en détail, mais alors ça ne devient pas comique du tout. Cela ne prend sa forme finale qu'à l'écran. D'ailleurs, en lisant des scénarios de nos idoles, comme Tati, je me suis aperçu qu'il y a des scènes fantastiques sur l'écran qui, à l'écriture, ne sont que des descriptions physiques de déplacements.

 


C. : Vous écrivez, jouez et réalisez le film (avec Bruno Romy). Comment faites-vous pour vous partager les tâches ?

D.A. : Venant du théâtre, nous avons l'habitude de travailler collectivement et nous le faisons pour toutes les étapes.
F.G. : On fait bloc, ce qui rend le travail du reste de l'équipe beaucoup plus difficile. Ils aimeraient bien qu'on ait des tâches spécifiques, mais ce n'est pas le cas.
D.A. :
Parfois, s'il y a un gros problème, nous gagnons du temps à être trois, mais parfois, nos discussions ralentissent nos décisions ! Je crois que c'est un peu la même chose quand un réalisateur travaille seul, mais il garde la tempête dans sa tête à lui, et quand il trouve une solution, il la dit. Ici, nous exprimons le problème.

 

C. : Les autres personnages du film sont joués par des acteurs non professionnels ?
D.A. : Oui. Nous n'avons pas beaucoup expliqué le projet. Nous avons fait des castings peu conventionnels, comme des mini-stages de théâtre où on demandait aux gens de quitter le niveau réaliste qu'ils voyaient à la télé et d'arriver à un niveau plus grand, plus généreux.

 

C. : Pourquoi le choix des plans fixes ?
F.G. : Nous aimons bien le cadre fixe, c'est comme un tableau. Au lieu de montrer les détails, nous laissons aux gens la possibilité de les choisir eux-mêmes… C'est aussi un défi pour un acteur de jouer sans interruptions. Il n'y a pas d'espace pour tricher.
D.A. : Pour nous, la narration passe par le mouvement de l'acteur. Nous faisons souvent des scènes chorégraphiques, alors on ne va pas faire un gros plan parce que c'est le corps qui s'exprime. Nous avons un style physique et rythmé. La fixité aide parce que d'un coup, le mouvement devient le rythme du film. C'est une liberté créative. On fait des plans fixes – c'est différent du style conventionnel, mais tant mieux.

 

Sur le tournage de l'Iceberg © JMV/Cinergie

 

C. : Est-ce que vous avez fait plusieurs prises ?
F.G. : Il y a eu des scènes que nous avons dû tourner plusieurs fois, comme la scène du réveil de Dominique. Notre style demande ça, jusqu'au moment où on trouve le bon rythme.
D.A. : Toutes les versions précédentes de cette scène étaient très lentes, elles avaient un coté endormi et au montage, on s'est rendu compte qu'il fallait plus de dynamisme.

 

C. : Pourquoi avez-vous cadré si bas?
D.A. : Il est vrai que notre caméra est souvent placée bas, à hauteur d’enfant. Peut-être que cela aide à mettre notre côté imaginaire et naïf en évidence. Fiona quitte son mari pour aller vers un iceberg et elle rencontre un marin. On s'attendait à une histoire d'amour mais ce n'est pas le cas…
F.G. : Nous ne voulions pas faire une histoire sur un triangle amoureux, mais sur quelqu'un qui veut réaliser un rêve. Il y a une histoire de couple dans le film, mais ce n'est pas une histoire d'amour.
D.A. : La maladresse humaine a toujours été notre thème favori. C'est le fait qu'elle se plante continuellement qui nous intéresse.

 

C. : L'Iceberg a déjà été présenté dans plusieurs festivals et a récolté plusieurs prix. Pensez-vous que son succès ouvrira le chemin vers les salles aux films comme le vôtre ?
D.A. : On espère ! Le fait d'aller aux festivals et de rencontrer des publics très variés, c'est très important pour notre travail. On voit maintenant où sont les faiblesses du film – elles sont toujours plus au moins les mêmes, quelles que soient les cultures. Les festivals sont aussi des occasions de rencontrer des distributeurs étrangers. Il y a MK2, à Paris, qui s'occupe de ça pour nous.

 

Fiona Gordon, Dominique Abel et Bruno Romy

 

C. : De quelles faiblesses parlez-vous ?
D.A. : Cela se situe plutôt vers les deux tiers. C'est un peu une baisse de régime. Et puis la fin remonte.
F.G. : Le problème avec le burlesque c'est que, quand on commence fort avec le rire, il faut maintenir le niveau jusqu’au bout. On va continuer à expérimenter dans le prochain film…

 

C. : Pouvez-vous nous en parler ?
D.A. : On écrit toujours à trois, avec Bruno Romy.
F.G. :
C'est l'histoire d'un couple d'enseignants qui aime danser. Mais ils ont un accident de voiture et ils ne peuvent plus danser. Le responsable de l'accident, torturé par le sentiment de culpabilité, décide de les aider mais il fait de leur vie un enfer.

 

C. : Voulez-vous expérimenter le numérique dans votre prochain film?
D.A. : C'est une question qu'il faudra – à chaque film – remettre sur la table, mais je crois que le 35mm est supérieur. La pellicule est belle, on sort encore beaucoup de très beaux films.

 

Vitor Pinto 

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