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Façades

Publié le 07/12/2017 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Portrait craché d’une famille modèle 

Quand Jean (Johan Leysen), qui démontre les premiers signes de la maladie d’Alzheimer, est abandonné par sa femme Viv (Frieda Pittoors), leur fille unique Alex (Natali Broods) décide de revenir vivre dans la maison parentale pour s’occuper de son père. Là, elle commence à s’interroger sur sa propre vie, sur ses désirs et sur son mariage qui bat de l’aile. Son mari Claus (Theo Maassen) la trompe allégrement lors de ses nombreux voyages d’affaire. Alex s’en doute depuis longtemps mais ne réagit pas vraiment. Absorbée par son métier de sous-titreuse, Alex est obsédée par le nouveau film dont elle s’occupe, un mélodrame dans lequel un fils soldat ment à sa mère mourante pour mieux la protéger. Alex passe également beaucoup de temps dans un salon de massage et c’est à cette occasion que nous voyons l’immense cicatrice qui lui parcourt toute la jambe, disgracieux reliquat d’un violent accident de jeunesse qui a changé sa vie… et celle de sa famille entière. Alex hésite, comme sa mère en fuite, à enfin laisser tomber le masque, à briser les apparences d’une vie épanouie. Ou bien continuer à faire comme si de rien n’était. De son côté, Jean semble beaucoup plus accablé par l’agonie d’une femme qu’il a aimée 40 ans plus tôt que par le départ soudain de son épouse.

FacadesFaçades est un drame captivant sur les secrets de famille, les problèmes conjugaux et les traumatismes liés à l’enfance. Dans la famille d’Alex, certains secrets, comme l’infidélité du père, ne sont plus des secrets depuis bien longtemps. La romance illicite de Jean alors qu’Alex était toute gamine, avait provoqué un mystérieux accident (dont la nature restera secrète jusqu’à la fin du film) qui avait immédiatement mis fin à cette brève mais intense histoire d’amour. Jean était ensuite retourné auprès de sa femme et a vécu toute une vie à ses côtés. Alex avait su pardonner à Jean, devenu par la suite un père modèle. Viv, quant à elle, n’a pas le même ressentiment. Malgré l’infidélité de son mari, elle lui a fait à manger, a repassé ses chemises et reprisé ses chaussettes pendant 50 ans. Puis l’a lavé et choyé quand sont arrivés les premiers signes de démence. Mais quand Jean a voulu visiter sa maîtresse mourante à l’hôpital, ce fut pour Viv la goutte qui a fait déborder le vase.

Alex est interprétée par l’exceptionnelle Natali Broods (Any Way the Wind Blows, La Merditude des Choses), que nous avions revue récemment en épouse délaissée de Jérémie Rénier dans Waste Land. A la fois forte et fragile, intense et légère, brisée mais toujours souriante, l’actrice signe une performance à la Simone Signoret : pas vraiment belle et pourtant magnifique, à deux doigts de défaillir sans jamais le faire. Le salon de massage, où elle peut profiter de son anonymat, est le seul endroit où elle laisse couler ses larmes. C’est par le biais d’Alex que se dégagent les thèmes principaux du film : la résignation silencieuse et la dignité du pardon. Sans en avoir l’air, Alex est une sainte au cœur d’or. Entièrement dévouée à sa famille, elle pardonne tout à tout le monde, notamment à ce père qu’elle aime d’un amour inconditionnel malgré les malheurs qu’il a causés. Alex est une « fille à papa » qui considère qu’il est de son devoir de s’occuper de Jean lors de ses dernières années, rejetant d’emblée l’idée d’engager des aides-soignantes, au grand dam de son mari.

FaçadesLe vétéran Johan Leysen (Daens, Sœur Sourire, bientôt dans Tueurs) s’avère parfait dans le registre de la démence progressive. Jean en est à ce stade difficile où, totalement impuissant, il se rend compte que la maladie l’envahit peu à peu. Souvent désorienté, il réagit avec honte (lorsqu’il mouille son lit) ou colère (lorsque sa fille l’aide à s’habiller) et ses expressions, décalées de la réalité, sont de moins en moins appropriées. Désinhibé, il n’a plus aucun scrupule à insulter ouvertement son beau-fils (qu’il n’a sans doute jamais apprécié). Et lorsque son épouse revient pour lui dire ses quatre vérités, Jean se montre simplement heureux et lui sourit tendrement, ayant sans doute déjà oublié pourquoi elle était partie.

Dans Façades, l’infidélité masculine, thème récurrent, n’est jamais traitée comme un méfait sordide et malintentionné, mais comme une série d’incartades amoureuses où les sentiments sont présents, sincères. On appréciera ce point de vue adulte, très rare, sur les raisons de l’infidélité. Certains considéreront la résignation d’Alex comme une faiblesse. Pourtant, à l’écran, elle fait sa force ! Contrairement à sa mère, une femme qui a connu une longue vie de résignation silencieuse avant de prendre son baluchon et de tout abandonner pour partir à l’aventure, Alex a en elle suffisamment d’amour pour faire passer les besoins des autres avant les siens, pour pardonner leurs incartades et autres petits mensonges.

Emouvant portrait d’une épouse et fille modèle, le deuxième long métrage de Kaat Beels, qui est aussi le premier de Nathalie Basteyns (toutes deux co-réalisatrices et co-scénaristes de la série Beau Séjour) n’est pas un film parfait. Comme les réalisatrices, nous avons parfois un peu de mal à identifier sa thématique principale tant le récit, ambitieux, part dans tous les sens. La révélation finale tant attendue s’avère plus éprouvante que réellement surprenante. Et le procédé du film dans le film s’avère vite redondant, voire inutile car il souligne des traits de caractère d’Alex que nous connaissions déjà. En somme, fallait-il vraiment raconter ce récit très linéaire de manière si tarabiscotée ? Peu importe ! Ces légères réserves ne sont que des broutilles car Façades (qui bénéficie de la superbe lumière créée par le chef op’ Anton Mertens) nous offre la confirmation du talent brut d’une actrice hors normes et audacieuse. Dans le rôle de cette femme pudique qui cache dignement ses larmes en faisant bonne figure quoi qu’il arrive, Natali Broods est tout simplement inoubliable.

 

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