C’est un livre comme aurait souhaité Gilles Deleuze : une boîte à outils. Du matériel pour vous permettre d’appréhender une personnalité aux multiples facettes. Tout le mérite du livre publié par Frédéric Sojcher est de nous dévoiler qu’au-delà des films qu’on croyait connaître se dessine non seulement un univers singulier, métissé et européen mais aussi une réflexion sur l’avenir du cinéma européen. De plus, certains pourront y découvrir une facette moins connue que l’œuvre de fiction de Delvaux celle du documentariste qu’il fût pour des séries consacrées à Jacques Demy, aux métiers du cinéma ou à Fellini et réalisées pour la télévision.
Frédéric Sojcher : André Delvaux ou l’art des rencontres
Il nous vient en mémoire une phrase de Pessoa, poète portugais que Delvaux appréciait et qui décrit bien son univers : « La vie entière de l’âme humaine est un mouvement dans la pénombre. Nous vivons dans le clair-obscur de la conscience, sans jamais nous trouver en accord avec ce que nous sommes ou supposons être. »
Les trois entretiens que Delvaux avait accordés à Frédéric Sojcher, commentés avec pertinence par ce dernier, nous font découvrir un cinéaste plus vivant que jamais. Prenons l’actualité du moment, la crise de fréquentation en salles du cinéma européen. Delvaux n’hésitait pas à nous dire que l’échange culturel ne peut s’effectuer qu’à partir d’un ancrage identitaire singulier, avec des personnages en doute. Précisant que les films ne sont pas des objets économiques mais des portraits différés d’une façon de vivre.
En un mot que si le cinéma européen peut être une alternative à la globalisation culturelle, il n’est pas comme certains l’y encouragent une consolidation industrielle du secteur hors de tout débat artistique. Réflexion et défense du langage, de l’écriture cinématographique sont aussi importants que l’économie du secteur (1).
Ajoutons que l’ouvrage offre divers témoignages de réalisateurs qui furent souvent ses élèves comme Jean-Jacques Andrien, Jaco Van Dormael, Alain Berliner, les Dardenne.
À lire d’urgence.
(1) Nous tombons sur une annonce « European Masters » pour devenir « consultante en management culturel. » Ce n’était pas dans Charlie Hebdo, comme vous auriez pu l’imaginer, sous la plume de Cavanna ou du professeur Choron, non, non, l’annonce a paru dans le plus grand quotidien de l’après-midi de France !
Frédéric Sojcher, André Delvaux, le cinéma ou l’art des rencontres, éditions du Seuil/Archimbaud.
Voir aussi en DVD, L’Homme au crâne rasé édité par La Cinémathèque (avec en bonus un documentaire sur Jacques Demy) et le coffret Rendez-vous à Bray édité par Boomerang Pictures (avec en bonus le superbe Dirck Bouts et une présentation de Philippe Reynaert qui synthétise l’art d’André Delvaux : cinéma, musique, littérature, peinture).