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Hold On To Her de Robin Vanbesien, 2024 - Festival En Ville!

Publié le 22/01/2025 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Traversée mortelle

Dans la nuit du 16 au 17 mai 2018, sur une autoroute près de Mons, un fourgon emportant une trentaine de migrants vers l’Angleterre est pris en chasse par cinq voitures de police. La petite Mawda Shawri, 2 ans, est abattue accidentellement d’une balle logée à hauteur de son nez. Sa mort est la conséquence de l’Opération Medusa, en place depuis 2015, qui autorise la police à traquer les personnes qui constituent une menace à la sécurité nationale. Trois ans plus tard, le policier accusé d’homicide involontaire fut condamné à un an de prison avec sursis, tandis que le chauffeur migrant du fourgon, considéré comme le principal responsable de la mort de la fillette, a écopé de quatre ans ferme.

Hold On To Her de Robin Vanbesien, 2024 - Festival En Ville!

2023. Une quarantaine de personnes témoignent devant la caméra de Robin Vanbesien pour faire part de leurs réactions et pour lire différents documents juridiques à propos de cette affaire. Ce forum, tenu au siège de l’organisation ‘La Voix des Sans Papiers’, à Bruxelles, donne la parole à ces activistes, légaux comme illégaux. Ils désirent mettre l’État belge devant ses responsabilités, car l’impunité de la police est une épreuve douloureuse pour la famille de la fillette. Refusant les demi-vérités et dénonçant cette violation des droits humains, les militants explorent l’affaire au-delà des récits officiels. Ils relatent les conditions inhumaines de l’arrestation des parents, Phrast et Shamden, juste après le drame. Alors qu’officier compare le corps sans vie de la fillette à un sac poubelle, le père, tenant dans ses bras le corps encore chaud de Mawda, est mis en joue par les agents, comme un terroriste. Arrêtés, les parents ne furent pas autorisés à accompagner la dépouille de leur fille à l’hôpital, mais immédiatement mis dans un centre de détention, séparément. Ils n’ont pu voir le corps que deux jours plus tard. Deux jours sans le moindre support psychologique, mais avec une obligation de quitter le territoire, sans leur fille, son corps étant détenu pour les besoins l’enquête. Inhumain ? Oui, mais le juge de Mons décida que cet aspect de l’histoire n’était pas de son ressort...

Les militants énumèrent également les mensonges avérés des policiers impliqués dans l’affaire, qui auraient déclaré à un ambulancier et aux médecins venus sur place que la petite aurait été éjectée volontairement du véhicule par la fenêtre par les occupants du fourgon, ce qui aurait provoqué un traumatisme crânien. C’est cette version mensongère que raconteront les médias dans un premier temps. Les intervenants dénoncent d’ailleurs l’absence flagrante de couverture médiatique sur cette affaire… Quelle que soit la position du spectateur sur le sujet épineux de l’immigration de masse, nul doute que cette affaire comporte de nombreuses zones d’ombre. On nous dit, notamment, que les policiers ayant pris le fourgon en chasse étaient bien informés qu’il y avait des enfants à bord. Alors, pourquoi avoir ouvert le feu ?... À cause de la conduite dangereuse du chauffeur, semble-t-il…

Robin Vanbesien signe un document d’une grande sobriété formelle (les images se résument aux témoignages des activistes, à des plans d’autoroute et à des images poétiques du ciel, de la nature et des environs du lieu du drame, le tout ponctué de divers chants), qui pose la question de la criminalisation et de la stigmatisation systématiques de la personne migrante - souvent considérée comme responsable de son propre sort - , mais aussi celle du droit à la colère en de telles circonstances. Car l’« Affaire Mawra », comme elle ne fut jamais nommée, semble ne pas avoir secoué une population qui préfère détourner le regard dès qu’il s’agit d’histoires de migrants. Comme si Mawra n’était pas une personne, mais une statistique de plus…

Documentaire à charge, Hold On To Her met un visage humain sur cette histoire sordide, exprimant dignement la colère devant la manipulation de la vérité, l’apathie généralisée sur le sujet et la caricature de l’immigrant dangereux et impulsif, dans l’espoir (vain ?) d’une guérison collective.

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